Vingt-cinq ans après la disparition de Mohammed Khair-Eddine : “Agoun’chich” est encore vivant !

  AZULPRESS -Par : étudiant-chercheur Aissa Jabbour //

Il y a 25 ans, Mohammed khair-Eddine était mort. Poète, écrivain engagé, l’un des fondateurs de la guérilla linguistique et la revue souffle. Pour reprendre les termes de Jean-Paul Sartre «Khair-Eddine est un petit génie berbère que je considérais comme l’un des meilleurs écrivains de langue française au monde ». Khair-Eddine est l’un des grands écrivains marocains qui écrit dans un style propre et exceptionnel, ses écrits demeurent difficiles. Lire, Khair-Eddine nécessite un niveau excellent en langue de Molière. En effet, il a laissé derrière lui une grande majorité des ouvrage de bonne qualité, citons : Agadir(1967), Corps négatif (1968), Soleil arachnide (1969), Le Déterreur (1973), Ce Maroc(1975), Moi l’Aigre (1970), Une odeur de mantèque (1976), Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, 1978, Légende et vie d’Agoun’chich, 1984 et beaucoup d’autres…

Mohammed Khair-Eddine
Mohammed Khair-Eddine

Khair-Eddine est né Tafraout dans l’Anti-Atlas (Sud marocain) en 1941, au sein d’une famille berbère. Il a passé une enfance comme celle d’un grand nombre d’enfants berbères dans une terre qui tombe dans l’oubli, comme un sol d’exil. Son enfance était auprès de sa mère, dans l’absence de père, parti fureter le travail dans le Nord du pays, dit Azaghar (terre fertile, où il y a de besogne). Cette présence de Khair-Eddine juste à côté de sa mère a donné à notre écrivain l’énergie d’aimer ses origines maternelles et une immense tendresse à l’égard de sa culture. Par conséquent, tous ses textes interrogent sans cesse, les liens entre lui et la culture des ancêtres. Autrement dit, la culture terrienne, l’identité, et la modernité. Ces trois thèmes ont beaucoup dérangé notre écrivain qui tient une place primordiale dans l’aire littéraire marocaine ou plutôt francophone.

On ne peut pas parler de Mohammed Khair-Eddine sans revenir au roman « Légende et vie d’Agoun’Chich » qui est une véritable fresque qui brosse la réalité du monde berbère.

Après la sortie de ses œuvres en exil où il passait une longue période. Khair-Eddine retourne à la source en 1979. À ce moment-là, il était frappé et ébahi par l’immense changement qui avait touché son village natal à savoir la propagation de la pollution, l’effondrement des maisons des ancêtres et l’indifférence des gens face à leur culture ancestrale. C’est pour cette raison, Khair-Eddine commence à rédiger ce roman dans lequel il nous montre l’image de sa culture qui circule dans le vent de Souss entre les nopals et les décombres des kasbahs.

À partir d’une lecture transversale de l’œuvre « Légende et Vie d’Agoun’chich ». On remarque que ce roman n’est qu’un cri de révolte qui exprime le sentiment de l’auteur envers sa culture.  Après justement un long temps d’errance en Occident. L’auteur en tant que sauveur de sa culture, il met à la fois l’image d’un Sud actuel et réel, et celle par le récit de la légende du Sud. Dans ce sens, le roman est investi par l’imaginaire des vieux mythes qui font partie d’une mémoire collective des habitants du Sud marocain. Dans ce roman qui se voit comme un miroir comme l’a bien dit Stendhal « roman est un miroir qui circule dans la rue », l’auteur commence par un long texte, dans lequel il évoque sa région natale, avec une description géographique et humaine du lieu où va se dérouler l’histoire du roman avec des messages que l’auteur envoie aux lecteurs.

Dans ces textes, l’auteur commence à reconnaître que le berbère est une langue et que le tachelhiyt son dialecte est une variété de cette langue. L’auteur essaye de valoriser sa culture, en dénonçant que le problème de la disparition de plusieurs traditions trouve ses racines dans l’indifférence des gens vis-à-vis à leur culture. Pour lui seuls les vieillards qui ont gardé beaucoup de choses qui appartiennent à la culture berbère dans sa région. Dans cette perspective, il déclare que « Lorsque vous rencontrez un de ces vieillards éternels dont les rides disent une histoire de sang versé, de lutte pour la survie entrecoupée de joie simples et fugaces ». Ce qui explique la valeur de ces âgés au milieu de la société amazighe, parce que chaque vieillard représente toute une bibliothèque historique. Par ailleurs, la femme avait toujours une valeur très haute et très précieuse devant tout le monde, c’est celle qui dirige la famille lors de l’absence de son mari, celle qui éduque les enfants, celle qui occupée les travaux domestiques, parfois elle participe à la guerre à côté de l’homme. Notre écrivain affirme à ce propos que          « De tout temps, la femme berbère a été pourvoyeuse des signification cachées du monde. C’est celle qui inculquait aux très jeunes enfants la culture ancestrale que l’homme, trop paresseux, quand il n’était pas occupé dans les mines d’Europe ou les épiceries de Casablanca ». Dans ceci, il montre que la femme est plus intelligente que l’homme, elle occupe essentiellement une place cruciale dans la société berbère notamment dans la transmission de la culture et l’apprentissage de la langue berbère aux générations.

Les livres de khair-Eddine

Le militantisme pour avoir la reconnaissance de la langue berbère est un sujet épineux qu’on trouve majoritairement dans les textes de Khair-Eddine, cela le met dans un espace de deuil. Il dénonce en effet le désastre qui touche sa culture et sa langue en particulier, celui de l’oubli et de la négligence en déclarant que le berbère est mis à l’écart à cause des autorités. De même, la culture berbère n’a pas malheureusement la place dans l’enseignement marocain, cela se manifeste dans sa citation « Cette culture ne se donnait pas comme un apprentissage au sens scolaire ». Dans ce point-là, Khair-Eddine nous explique que le tamazight est tellement marginalisée dans le système éducatif du Maroc, il n’a pas encore la place qu’il mérite.

Quant à l’art, l’auteur souligne que : « C’est à peu près ce qui se passe au Maroc d’aujourd’hui où le tamazight fait son chemin dans les universités et où des chanteurs et musiciens modernisent le registre chleuh et apportent un souffle riche et nouveau à ce qui semblait figé et redondant. Il y a toujours des chantres classiques, mais ils ne renouvellent pas, étant presque tous des épigones de L’Haj Belaid, véritable fondateur de la symbolique et la rythmique berbère ». L’auteur exprime un petit peu son espoir à l’envers de tamazight, en déclarant que l’artiste a un rôle décisif dans la société, c’est celui qui sème la conscience au sein des groupes humains, il est également un porte-parole du peuple, selon l’auteur, ces auteurs tentent de plus en plus d’augmenter le niveau culturel des hommes par le biais de l’art, en effet, la culture berbère se progresse grâce à ceux-ci, parce que la culture qui était orale, elle devient par chance écrite. L’auteur a bien cité quelques groupes musicaux de chanson engagée à savoir groupe Oussman (éclaires) ou Izenzaren (rayons solaires). Pour lui ce sont les poètes de la renaissance berbère.

En sillonnant le roman, Agoun’chich est un errant, il est toujours en chemin de réaliser un souhait qui est entre le rêve et le réel, celui de la quête des tueurs de sa sœur, qui ne retrouva pas. Sa sœur prend ici : l’emblème d’une identité perdue ou en train de se perdre. Dans ce voyage, il met en scène le regard métaphysique sur sa terre natale et sa culture qui s’évanouit devant ses yeux.

À travers ce roman, il existe un certain sens de laïcité, ce qui nous permettons de dire que cette société berbère est indubitablement laïque. Cette notion se manifeste dans ce point suivant « En dehors des heures de prières, le fqih est presque toujours seul » ce qui implique que le fqih était souvent étranger du village ou de tribu selon l’expression de Khair-Eddine n’avait jamais le droit d’intervenir dans ce qui est loin de la mosquée, il n’avait jamais le droit de parler de ce qui est politique, ni de ce qui concerne les habitants de village. Sauf, s’il s’agit d’une question de religion. La raison pour laquelle, cet homme religieux était fréquemment étranger de village ; n’est pas gratuit dans la société berbère, car l’étranger quel que soit n’avait pas le droit d’intervenir de ce qui concerne la tribu (surtout dans leur tajemmàat).

En bref, l’amour de l’auteur envers sa culture est très fort, à ce stade, il recommande fortement « Tu dois aimer ta montagne ; tu es ta montagne, un grain de ta montagne ». Mais, Khair-Eddine porte au fond de lui un malheur de ce qu’il arrivait à sa culture millénaire ; « Le berbère oublia son écriture et une grande partie de son vocabulaire » il pensait que celle-ci est une philosophie que les ancêtres avaient âprement défendue contre les envahisseurs. Ceci a mis notre auteur dans un profond malaise. C’est ce qu’appelle lui-même la perte de sacré, c’est-à-dire la perte de tout ce qu’appartiennent à notre mémoire collective et à nos aïeux.

En vue de ce qui précède, Khair-Eddine demeure l’un des grands écrivains de la littérature maghrébine d’expression française et particulièrement marocaine. Il a produit plusieurs ouvrages de talents qui jettent la lumière sur une culture sombre et marginalisée. Ensuite, il est toujours le seul écrivain qui représente le Sud marocain dans la littérature jeune de langue française. Bref, son Agoun’chich n’est pas encore mort, mais il est en train d’agoniser.

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