Oliver Black de Tawfik Baba..Il y a quelqu’un dans le désert

Mohammed Bakrim

«…Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regarder où ils allaient. Le vent soufflait continûment, le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit.»

(Le Clézio)

Le premier long métrage de Tawfik Baba, Oliver Black (Maroc, 2020, 95 mn), peut être abordé comme un « film à tiroirs » ou comment une histoire peut en cacher une autre. Il offre un horizon de lecture ouvert, multiple, qui commence avec le titre : Oliver (Oliver Twist ?) ; l’enseigne « Oliver black label » ? La présence du nom « Vendredi » et le renvoi au roman de Michel Tournier ?…

La structure même du film va dans ce sens dans la mesure où l’histoire principale, celle de la traversée d’un espace hostile par deux compagnons, va se révéler comme un leurre.

Le film est construit comme un puzzle qui se développe par couches successives ; des éléments distillés au fur et à mesure pour constituer, in fine, une image, celle de l’émergence d’Oliver Black, fruit de contingences qui se révéleront tragiques.

Une narration limpide qui cache à peine les méandres ténébreuses des relations humaines ; entre les hommes ; entre les hommes et la nature.

Il y a en effet un récit cadre avec les deux séquences d’ouverture et de clôture qui offrent des indices qui assurent à ce récit premier un ancrage dans ce qui fait l’actualité du Sahel (drapeau de Daech, trafic humain, les enfants-soldats, le nouveau statut du personnage principal dévoilé à la fin…).

Et il y a un récit encadré, celui qui fait l’essentiel du film et qui va lui offrir cette fois une autre dimension nourrie de références multiples, littéraire, cinéphile voire métaphysique.

Il en constitue en fait le corps du point de vue narratif et lui offre sa consistance artistique.

 Et c’est ce récit captivant, fait de beauté et de poésie qui m’intéresse.

Le récit du désert, celui des rencontres et des perditions. Celui d’un thé sahraoui que l’on déguste à la lumière d’un soir crépusculaire.

« Thé, thé… » Réclame Vendredi à son compagnon…parlant presque en notre nom, exprimant notre désir de « déguster » la suite du récit.

 Ce récit dans le récit est porté par un double défi, scénaristique et esthétique, qui convoque des stratégies appropriées.

Du point de vue du scénario se pose en effet la question de comment construire une narration, un récit à partir du vide inhérent au milieu : peu de dialogue, intrigue minimale (à ce niveau de l’évolution du film avant le coup théâtral final) ; et un défi esthétique comment filmer le désert, s’approprier un espace déjà saturé du point de vue de l’image en évitant le cliché et la carte postale.

La mise en scène de Baba alterne les plans larges et les gros plans (les visages très expressifs qui ont rapporté au film deux récompenses d’interprétation à Tanger) stimulant le regard du spectateur et l’invitant à entrer dans l’image et de ne pas se contenter de la consommer.

Regarder mais aussi voir ; le film incite à aller au-delà de l’artifice. D’élégants mouvements d’appareils, embrassant les paysages immenses et la beauté du ciel, assurent une narration fluide propice à la méditation. En somme, un western métaphysique où l’espace est plus éloquent que les paroles.

A l’origine, une rencontre inédite dans un lieu inédit ; le parcours de l’enfant noir, jeune migrant clandestin, croise celui d’un vieil homme ; ils vont se donner mutuellement des noms.

Le vieil homme va nommer son jeune compagnon noir « Vendredi » ; et celui-ci ne cesse d’appeler son vieux sauveur « homme blanc ».

Deux figures dramatiques qui vont renvoyer à une double thématique : l’errance et le déracinement ; la solitude et l’altérité.

Le choix de Vendredi comme nom est très fort. C’est l’une des réussites scénaristiques ; un choix qui donne à cette rencontre fortuite une consistance sémantique l’ouvrant sur l’universel.

Avec cette référence littéraire, on accède à une autre dimension de cette rencontre. Une amitié va naître grâce au contexte particulier qu’offre le désert ; un retour aux origines loin du « bruit » de la civilisation qui partage les hommes selon la couleur, les frontières et les origines.

L’échange entre les deux appartenances va constituer un hymne à l’altérité qui trouve son climax dans la scène de la mine antipersonnel (plus tard, le dénouement du film va bien sûr jeter un doute sur le jeu du vieil homme).

Vendredi refuse d’abandonner son ami qui vient de mettre son pied sur une mine. Une scène d’une grande intensité émotionnelle.

Un moment qui va sceller une relation qui se développe dans un environnement éloquent, le désert avec toute sa charge symbolique.

Cadre grandiose qui s’ouvre sur l’immensité des paysages qui développe chez les deux figures nomades le tropisme fondateur de l’errance. Cette sensation d’immensité est présentée par les choix de mise en scène comme immaitrisable avec la récurrence des plans larges voire très larges et surtout nul recours par exemple à un essai de surcadrage dans le plan : aucun cadre dans le cadre, ni porte ni fenêtre, ni hublot ou tout autre cadre.

Cette maîtrise par le cadrage n’interviendra qu’une fois dans le camp où le vieil homme entrevoit le jeune migrant noir (devenu ou poussé devenir un autre) à partir d’un point de vue subjectif, le regardant travailler par l’ouverture d’une tente signifiant alors la nouvelle situation d’enfermement du jeune homme. Nouveau contexte diégétique, nouveau regard, nouveaux rapports de forces entre les personnages… mais c’est un « autre film »…

Ce qui reste c’est le rapport particulier que les personnages établissent, pendant leur traversée, avec le paysage.

Celui-ci  excède les limites d’un simple décor. Il est une composante fondatrice du récit. Il est même perçu dans sa sécheresse comme une métaphore de la sécheresse, de la déchéance de l’humanité qui, en détruisant la nature, détruit une composante de son humanité.

« Les blancs ont tué les arbres avec leur guerre et leur machine » dit Vendredi signifiant la dimension écologique du récit.

Un discours écocritique du film énoncé près d’un arbre isolé et desséché aux branches mortes se dressant comme des doigts accusateurs. Un environnement fatal annonciateur du dénouement tragique du récit ?

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