Il y a 20 ans, le festival du film de Marrakech (2001 – 2021): Un cadeau pour le cinéma marocain

Par Mohammed Bakrim

« Il y a un avant et un après Marrakech dans l’histoire du cinéma marocain »

A l’initiative de sa Majesté le Roi, le festival international  du film de Marrakech va voir le jour en 2001 ; une année spéciale marquée par les attentats du 11 septembre. Beaucoup de sceptiques pensaient que l’initiative allait subir les dommages collatéraux de ce méga événement…d’autant plus que les Américains avaient annoncé leur désistement. Mais le festival tint bon et finalement, la première édition a eu lieu du 28 septembre au 3 octobre. Elle avait tenu toutes ses promesses, et les absents avaient eu tort.  Le destin était tracé : le Maroc gagna un formidable événement d’envergure internationale. Le nouveau régime ouvre ainsi son règne par un cadeau à la profession du cinéma au Maroc.

Au fur et à mesure de son évolution, le FIFM arrive à forger une identité propre au sein d’un calendrier international fortement concurrentiel. Une identité autour de trois dimensions : un festival professionnel, cinéphile et populaire…

 Avec le cinéma marocain, c’est la rencontre d’une opportunité et d’une ambition…D’un côté, un grand rendez-vous de cinéma, une manifestation cinématographique désormais confirmée comme une date repère dans le calendrier de la profession du cinéma à un niveau international ; et de l’autre, une  cinématographie jeune certes, mais qui depuis quelques années a le vent en poupe et suscite la curiosité, l’intérêt ici et là, s’invite un peu partout en effectuant un véritable périple autour du monde : de Jeonju en Corée du sud à Mare de La Plata en Argentine en passant par Berlin, Venise Cannes ou Carthage et Ouagadougou. Avec souvent en prime, si ce n’est une place sur le podium une reconnaissance publique et critique…

Il faut souligner cependant qu’indéniablement  le FIFM ouvre devant le film marocain une perspective nouvelle, c’est une vitrine de choix mais il pose aussi à ce cinéma une nouvelle donne, il le met devant un nouveau paradigme. Il lui offre un nouvel horizon de lecture. Les professionnels vous le confirmeront : on ne fait plus un film marocain aujourd’hui comme il y a vingt ans. Il y a un avant et un après Marrakech dans l’histoire du cinéma marocain. Désormais c’est une production qui se fait en pensant à son propre devenir dans lequel d’une manière ou d’une autre Marrakech et son festival sont une destinée, une station possible,  souhaitable sûrement.

De la même manière les observateurs internationaux ont tout de suite relevé que l’émergence d’un grand festival de cinéma au sud, au Maroc précisément, n’est pas le fruit du hasard. Il s’inscrit dans l’image globale que renvoie le pays aujourd’hui : une plateforme de tournage reconnue comme tel depuis pas mal d’années, un véritable studio à ciel ouvert pour les productions étrangères mais aussi l’image d’un pays où le cinéma s’épanouit et montre un nouveau visage en termes de production mais aussi en termes de renouvellement de génération avec l’arrivée   de jeunes  cinéastes.

C’est ce que l’on a qualifié de dynamique du cinéma marocain. Quelles en sont les principales caractéristiques ? Quelles en sont les causes ?

Je pourrai décrire cette dynamique par un schéma à deux niveaux : une description des  caractéristiques qui font que l’on peut parler d’une dynamique et  à un deuxième niveau pour une tentative d’explication de cette dynamique.

Pour la décrire je propose trois aspects : régularité ; visibilité ; diversité.

Régularité : depuis plusieurs années notre cinéma connaît un rythme de croissance régulier : huit, dix, douze longs métrages par an. Cela s’insère dans une stratégie qui vise selon les perspectives tracées par le Centre Cinématographique Marocain de parvenir à l’horizon 2008 à une moyenne de 28 Longs métrages par an.

Visibilité : Cette production régulière est de plus en plus visible. Le film marocain est vu et d’abord chez lui. Depuis trois ans ce sont pratiquement deux, trois films marocains qui arrivent en tête de box office ; il est visible aussi à l’étranger notamment dans les festivals internationaux : il ne se passe pas un mois sans que le cinéma marocain ne soit l’invité d’une rétrospective, d’un spécial ou d’un panorama

Diversité : Partout, là où il est présenté, une première remarque s’impose, ce cinéma est porté par une grande diversité de thèmes, d’approches esthétiques. Et c’est une diversité qui reflète un brassage  révélateur de l’arrivée de jeunes cinéastes, lauréats d’écoles, autodidactes, issus de la diaspora…c’est le véritable moteur de cette dynamique.

Comment on est arrivé à cette situation ; je formule une explication basée sur la conjugaison de trois facteurs :

L’existence d’une tradition cinéphilique qui fait que le cinéma au Maroc est chez lui : une tradition qui a connu son âge d’or dans les années 70 et qui a produit ses figures emblématiques.

L’existence d’une génération de cinéastes pionniers qui ont résisté à la traversée du désert et qui ont permis que le cinéma reste un horizon professionnel possible. Ce sont eux qui ont assuré au cinéma son ancrage dans notre paysage culturel (rendre hommage ici à feu Reggab qui arpentait les régions du pays pour promouvoir la culture cinématographique)

L’existence d’une réelle volonté publique d’aider le cinéma ; volonté illustrée par le Fonds d’aide à la production cinématographique devenue depuis 2004 l’avance sur recettes et dont l’enveloppe atteint aujourd’hui les 60 millions de dirhams

L’ensemble de ses éléments constitue aujourd’hui un écosystème qui rend l’émergence d’une véritable industrie du cinéma une option non seulement légitime mais crédible. Et c’est dans ce cadre qu’en 2001 arrive, comme une bonne nouvelle, le Festival International du film de Marrakech. Il prolonge cette volonté publique de promouvoir le cinéma et le FIFM peut être considéré à juste titre comme un cadeau du Roi Mohammed VI à la profession du cinéma. Son ampleur, le succès rencontré au sein de la planète cinéma, ses choix qui  confirment d’édition en édition un dosage intelligent entre convivialité et professionnalisme, entre cinéphilie et stars et paillettes autorisent à penser que le FIFM est une véritable locomotive pour le décollage d’une véritable industrie de cinéma au Maroc.

Il fonctionne déjà comme un espace de rencontre, comme une vitrine pour le cinéma marocain. Cela va contribuer à combler  une attente et à apporter des éléments de réponse à une interrogation qui a longtemps hanté les milieux du cinéma  à savoir comment permettre au film marocain d’accéder à une reconnaissance internationale ; comment lui assurer le passage d’une visibilité nationale à une présence internationale ; comment réussir dans le cinéma et par le cinéma le mariage du local et de l’universel. C’est d’ailleurs le thème que la profession avait choisi de débattre en 1995 à Tanger à l’occasion de la quatrième édition du Festival national du Film. Un hasard heureux car c’était à Tanger que les prémisses de la nouvelle vague marocaine dessinaient un horizon de promesse. Confirmation et éléments de réponses apportées par le FIFM. L’un des représentants de cette nouvelle génération, en effet, Faouzi Bensaïdi allait assurer l’ouverture en 2003 de la troisième édition du festival de Marrakech avec son premier long métrage Mille mois. Un moment fort devant un parterre de vedettes internationales dans le magnifique décor du palais Badi ; une soirée féerique dont le souvenir est encore vivace.  Décor qui verra une autre représentante de  cette tendance décrocher lors du palmarès le prix du scénario pour Les yeux secs. Une autre première œuvre qui annonce un projet : les deux cinéastes se retrouvent en 2006 en compétition officielle. C’est dire que le film marocain s’habitue à la cour des grands, en toute légitimité, en toute confiance dans l’avenir. Dès 2001, Mona Saber de Abdelhaï Laraki ouvrait la voix à ce parcours inédit en se confrontant chez lui, au Maroc, au regard d’un jury d’envergure internationale, cette année-là, il était présidé par Charlotte Rampling. Au palmarès Chaïbia Adraoui obtenait le prix d’interprétation féminine alors que Jacques Dutronc obtenait le prix d’interprétation masculine : Adraoui /Dutronc ! Un syntagme qui résume déjà le programme de Marrakech ; son ambition pour le cinéma marocain. Un cinéma qui sera l’invité de l’édition de 2004 avec un formidable panorama 1958-2004 et un hommage à son pionnier Mohamed Osfour. D’autres films, Et Après de Mohamed Ismail en 2OO2, Tenja de Hassan Lagzouli en 2004, Le gosse de Tanger de Moumen Smihi en 2005, vivront cette expérience de se confronter à des films venus d’horizons divers sous le regard de sommités cinématographiques : stars, auteurs, artistes… le film marocain s’affiche à l’universel dans une configuration originale qui le met en face de nouvelles exigences de rigueur et de professionnalisme.


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