Zanka contact d’Ismaël El Iraqui .. Ne pas mourir

Mohammed Bakrim

Il y a des accidents qui s’ils ne vous tuent pas, vous offrent l’occasion de faire la rencontre de votre vie. C’est le cas de Larsen (Ahmed Hammoud), star de Rock déchue, rentrant au pays et de Raja (Khansa Batma), prostituée douée d’une belle voix ; l’accident va ouvrir devant eux la voie à une idylle supposée avoir pour cadre Casablanca ; c’est en tout cas ce que laisse comprendre le titre du premier long métrage d’Ismaël El Iraqui : Zanka contact pour les natifs ou Burning Casablanca pour le point de vue français sur le film.

Le film convoque pour sa réception un spectateur-complice disposant de codes d’accès y compris à partir du titre ! Le film lui propose plusieurs pistes de lecture…qui appellent cependant toutes une culture partagée. Cela peut passer par exemple à travers la bande son et ses riches références musicales. Ou par la cinéphilie avec un voyage dans la planète cinéphile où le spectateur avisé construit son plaisir en glanant dans tel plan ou telle scène…des clins d’œil à des films cultes, des signes à forte charge culturelles (le serpent, le rapport au père…). Une large panoplie d’approches sauf celle qui tenterait une lecture sociale comme le propose une certaine critique qui a cherché à vendre le film comme « un miroir de la société marocaine aujourd’hui ». Une lecture qui cache mal un désir d’exotisme qui a alimenté tout un courant de notre cinéma (et pas seulement) cherchant à promouvoir un cinéma néo-orientaliste où les cinéastes « indigènes » prennent en charge eux-mêmes, à la place de l’autre, ce regard exotique.

En effet, la séquence d’ouverture de Zanka contact, avec ses images aériennes, neutralise toute velléité de réalisme. On plane au-dessus de ce qui est censée être une ville marocaine, en l’occurrence Casablanca. L’entrée en scène de Raja renforce cette impression de superficialité (provisoire) ; une entrée filmée comme un clip nourrie de Tarantino. Certes, des signes iconiques et verbaux l’inscrivent dans un ancrage spacio-culturel (un plan rapproché sur Raja lors de l’accident met en avant le rouge de sa jaquette et l’étoile-pendentif sur sa poitrine : comprendre Maroc). Ses plans dans le taxi réveillent d’ailleurs chez le cinéphile d’autres images de prostituées qui se livrent dans un taxi : on peut remonter loin en citant Casa by night de Mostafa Derkaoui ou tout récemment la scène d’ouverture de Much loved où le taxi joue le rôle de véritable lieu d’exposition (le langage tenant lieu, ici et là de véritable indicateur).

Ceci dit, notre hypothèse pour aborder le film va dans le sens que les personnages de Zanka contact ne se définissent pas principalement par leur profil sociologique. Ce ne sont pas des archétypes sociaux, sur qui le film plaque un discours social ou moral. Ils ne sont pas, par exemple, des voisins de quartier de Casa negra ni même de Much loved ou de Haut et fort. Je dirai plutôt que ce sont des cousins proches des personnages de Hicham Lasri ; à l’instar de son jeune ainé, Ismaël El Iraqui met en scène des extra-terrestres, des zombies (ils reviennent de la mort !). Avec pour toile de fond une histoire d’amour (n’est-ce pas aussi le cas avec The end de Hicham Lasri ?). Nous sommes en présence d’un cinéma aux antipodes du cinéma classique qui va de l’extérieur pour expliquer l’intérieur ; plutôt donc un cinéma de la modernité qui va du côté de l’intériorité pour essayer de représenter les traumatismes, la mémoire et la sensibilité. L’extérieur va être le lieu de projection de ce qui se trame à l’intérieur !

Zanka contact, en somme, est le récit d’une rencontre amoureuse. La Medina n’offrant qu’un décor quasi muet, au sens sociologique. Le récit filmique est davantage tributaire d’un système de personnages qui évoluent dans une structure dramatique qui confine à la tragédie. Ce qui assure au film une nouvelle dimension extra-territoriale, légitimée par ailleurs par ses choix musicaux universels ; avec des clins d’œil révélateurs : en plein concert Rock, on voit Raja   sous l’affiche du groupe mythique Nass El Ghiwane. Un hommage et une filiation. Des choix qui autorisent à voir dans Larsen un héros qui n’hésite pas à descendre dans l’enfer des réseaux de drogue et de prostitution pour reprendre et garder sa bien-aimée. Larsen, comme Orphée de la mythologie grecque, armé de son amour et de la force de sa musique va à la quête de son Eurydice/ Raja. Cette référence antique peut éclairer également la forte présence de la violence à la fois verbale et physique qui porte le film. L’historien et politicien grec, Thucydide, avait le premier souligné comment le langage subit lui-même la violence qui marque les rapports sociaux ; en période de violence et de guerre (et de terrorisme !) l’ensemble du corps social est pénétré de cette violence jusqu’à modifier l’usage que nous faisons de la langue. Et le film en offre une illustration éloquente. En provoquant le spectateur, cette violence le renvoie à une réflexion sur la violence qui l’entoure et qu’il consomme dans son quotidien via les médias et les réseaux dits sociaux. Une scène emblématique du film, va dans ce sens ; celle où le couple (Raja et Larsen) en fuite rejoint Rokia (Fatéma Atif) ; une ancienne prostituée du réseau de Saïd (Said Bey), le mac de Raja. Une scène crépusculaire et cathartique. Tournée comme un western, comme un règlement de compte ; Rokia y fait d’ailleurs allusion quand elle dit à Said de demander « au cowboy qui l’accompagne de se calmer ». Crépusculaire car elle synthétise la fin/ la mort des symboles d’une époque ; « C’étaient les années 80 » dit Rokia à Said ; la mort de son chien incapable d’être à la hauteur du nom qu’il porte, « Izem », lion en amazigh. Cathartique avec la scène du feu qui efface tout et annonce le tournant du récit avec le début de la métamorphose de Said : de l’opposant il deviendra adjuvant. Changement d’attitude qu’il officialise lorsqu’il assiste à l’enregistrement (enfin) de la chanson de Raja.

Au-delà du plaisir multi-sensoriel qu’offre le film, malgré la violence qui le traverse par intermittence, Zanka contact est construit pour capter cette vitalité et cette intensité qui animent les personnages. Des personnages pris dans des situations d’extrême urgence de survie.  Une esthétique d’urgence. Des êtres confrontés le long de ce parcours aux situations de danger ; liés par la recherche de comment échapper à la séparation et finalement à la mort. Les deux personnages sont le carburant de l’énergie qui émane du film, tout entier tendu par un refus : ne pas renoncer ; ne pas mourir. En ces temps d’incertitude et de désarroi cela sonne comme l’expression d’une lutte, d’une résilience. Un appel (Raja en arabe) à la résistance.


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