- Mohammed Bakrim //
Dans son premier long métrage, Un été à Boujad (2022), actuellement en salles, Omar Mouldouira filme un moment charnière de l’enfance ; celui des premières grandes interrogations sur soi, sur les autres.
Un moment de passage, sortir de l’enfance vers l’ge adulte avec cette étape édifiante de l’adolescence. Un parcours initiatique qui n’est pas sans rappeler le parcours du cinéaste lui-même : sortir du court métrage (on a le souvenir de qualques courts métrages de grande qualité notamment Margelle, 2012) pour embrasser enfin la carrière de ciénaste avec ce premier long métrage.
Avec tout ce que cela, dans les deux cas de figure, comporte comme investissement émotionnel et intellectuel. Et comme eengagement en somme. Se construire une identité nourrie de nouveau conexte, et d’une nouvelle conscience.
Le film dans son écriture, dans son ses choix esthétiques, est à l’image de son jeune héros : l’identité n’est pas une entité figée, c’est plutôt un processus ; une aventure ouverte sur l’inconnu. Je cite le sociologue Jean-Claude Kaufmann « l’identité est une invention permanente qui se forge avec du matériau non inventé », c’est le programme narratif du film, en tant qu’histoire et en tant que récit. Son héros Karim, 13 ans va être amené en effet le temps de ses vacances d’été à vivre un expérience formatrice dans un contexte familial et socio-culturel particulier.
Il accèce à un nouvel environnement où il va faire preuve d’autonomie de goûts qui s’exprime à travers une culture spécifique, autonomie de fréquentation qui se manifeste par le fait de choisir ses amis et de les voir hors du contrôle des parents. Remettre en question certains présupposés, se forger une nouvelle vision d’abord de soi face à l’altérité que lui offre cet espace chargé de symboles et de mythes qu’est la cité de Boujad.
Le récit s’inscrit ainsi dans une démarche dynamique illustrée par sa séquence d’ouverture.
Une ouverture, en effet, sous le signe du mouvement avec un bus que l’on découvre à partir du porte-bagages de toit offrant une vision inédite mais avec déjà des indications sociales et spatiales confirmées avec les plans d’intérieur du véhicule (des passagers fatigués, chaleur, espace extérieur quasi désertique).
Cette présence du bus, je préfère parler de « car », le moyen de transport populaire reliant les grandes métropoles notamment Casablanca aux villages et cités de la périphérie, a une dimension cinéphilique. J’y vois un clin d’œil à tout un cinéma marocain, celui des années 1970 autour des cinéastes dits du groupe de Casablanca.
Le car étant un objet narratif et sémiotique. Cette lecture cinéphilique qui traverse en fait tout le film (Omar Mouldouira joue à nourrir ses plans de clins d’œil pour le cinéphile averti)) trouve sa légitimité dès la deuxième séquence du film quand le bus s’arrête à la grande place de la ville : un héros qui arrive quelque part (un western juvénile ?) ; arrivée encadrée par le plan de la salle de cinéma (est-ce la salle de la famille du cinéaste Hakim Belabbès ?) avec une double affiche : un film hindi et un épisode de la saga Emmanuelle (films érotique en série qui avaient marqué les années 1970 et 1980).
D’emblée la solitude du héros est soulignée par l’espace vide, la chaleur torride qui sévit et le commentaire d’un vieux sage qui lui propose de l’aider à porter ses affaires tout en lui rappelant « qu’à cette heure-ci, seuls les jnouns sont dehors ». On est dans la mythologie dans une ville portée par le sacré.
Ce déplacement en ouverture offre en outre une dimension à forte charge symbolique. Si au niveau premier du récit, il s’agit du retour du jeune lycéen Karim au sein de sa famille recomposée (il est orphelin de mère) pour les vacances d’été, pour le film c’est également un déplacement au sens multiple.
Déplacer l’histoire racontée loin du centre pour réhabiliter de nouveaux lieux pour le cinéma ; élargir la carte de l’imaginaire d’un cinéma qui a tendance avec la domination du genre de la comédie issue de la télévision a privilégier les espaces urbains déjà formatés par l’économie narrative dominante.
C’est aussi un déplacement symbolique au niveau du système de personnages. Omar Mouldouira filme l’enfance, également une sorte de périphérie, souvent absente de notre filmographie. Une enfance filmée dans un contexte de rupture.
Rupture culturelle. A l’origine, la famille de Karim est issue de l’immigration, son père ayant choisi de rentrer au bled pour monter une affaire après avoir bénéficié d’un « chèque de retour ». Rupture biographique et sentimentale avec le décès de la mère et le difficile processus de réintégration et d’acceptation de la « nouvelle » mère et du « nouveau » frère.
Dès son arrivée à la maison cette rupture va se cristalliser avec les travaux de réaménagement. Une idée de violence prémonitoire plane sur les lieux avec la scène de l’arbre que l’on taille, le patio dont on ferme l’ouverture vers le ciel avec un verre opaque.
Le père étant le maître d’œuvre de ces changements va constituer la première confrontation de l’ego de Karim en constitution. Cet enferment va imposer au niveau de la mise en scène une nouvelle dualité qui va porter le film celle de l’intérieur (la famille refusée) et de l’extérieur (redécouverte d’un nouvel environnement humain) à laquelle va s’ajouter une nouvelle opposition, celle du haut (espace de la liverté) et du bas (espace de la ruse et de la violence).
A défaut de père, c’est à travers une sorte de Gavroche local, Mehdi, plus âgé que lui, plus libre jusqu’à frôler la délinquance que Karim va trouver la figure identificatoire. C’est par la magie de cette identification nourrie d’aventures à risque et de violence que Karim va faire l’expérience de sortie de soi avec la sensation d’une nouvelle vie plus intense, plus riche ; et peut-être plus authentique.
L’échec de sa première tentative d’intégration à la famille recomposée de son père est illustrée par l’explosion de violence retenue avec ce symbole fort de la machine à coudre brisée : on ne recoud pas ce qui est rompu à jamais. Il faut partir sur de nouvelles bases.
L’extérieur va lui permettre de revenir vers l’intérieur, changé car plus riche (la question de l’argent en est une métaphore).
Le film capte ce processus avec empathie. Ses plans sont traversés de sensibilité et de tendresse malgré la violence tacite ou explicite qui caractérise les rapports verticaux (Karim avec son père et sa belle mère) ou horizontaux (Karim avec ses autres camarades).
Le récit ne verse jamais dans le pathétique. Filmer l’enfance pose en effet des questions d’ordre esthétique et éthique. Toute l’histoire du cinéma est marqué par ce débat. De Rossellini (la question morale) à Truffaut. Mes choix à ce propos vont plutôt du côté asiatique avec les deux premiers films de la trilogie d’Apu de Satyajit Ray (1955/1956) ou encore l’excellent Où est la maison de mon ami de Abbas Kiarostami (1987).
En filmant les mutations de la famille du Maroc profond Mouldouira s’inscrit aussi dans l’héritage du maître japonais Osujiro Ozu.
C’est pour dire que le film est d’une délicatesse qui respecte son sujet ; voir la belle scène de réconciliation père-fils au cimetière (on est à Boujad, les lieux sont sacrés) sur la tombe de la défunte. Exercice réussi avec l’apport indéniable des comédiens aussi bien les jeunes que les adultes.
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