Saint Omer d’Alice Diop..Le cadre du procès

Mohammed Bakrim

Saint Omer d’Alice Diop signe l’arrivée à la fiction d’une cinéaste en pleine maîtrise de ses moyens.

Elle réalise son premier long métrage de fiction nourrie de sa culture documentaire.  Même si, chez elle, la distinction fiction-documentaire est strictement institutionnelle, répondant à une demande extra-esthétique ; la profession et les médias aiment en effet classer, catégorier.

Cependant, Saint Omer est porté par une éthique documentaire qui traverse son écriture et instaure un horizon pour sa réception.

Alice Diop aborde son film, écrit à partir d’un fait divers qui avait fait sensation, une mère accusée d’infanticide, en sachant ce qu’elle va montrer ou plutôt en décidant en amont déjà de ce qu’elle ne va pas montrer.

On ne voit pas en effet ni le cadavre, ni le lieu du « crime ».

Ce faisant, elle refuse d’importer pour son cinéma, l’obscénité dans la saisie du réel devenue la marque de fabrique des réseaux sociaux.

Un choix éthique, ne pas tout montrer, aux conséquences esthétiques. Elle renvoie tout au hors champ.

D’où l’importance du cadre. Le cadre du procès étant ainsi le cadre du cinéma. Dans le film tout est une question de cadre. Cadre symbolisant la parfaite maîtrise qui caractérise le film à tous ses échelons.

Le récit lui-même est encadré par une double citation. Un document historique sur les femmes tondues lors des années de la libération (1945), présenté par Rama, universitaire-personnage clé du film, travaillant sur un texte de Marguerite Duras.

L’autre citation est une sorte de mise en abyme avec la référence au film Médée de Pasolini (la sortie du film de Diop coïncide avec l’année de la célébration du centenaire de la naissance du cinéaste italien).

Au cœur de ces deux citations, la femme comme corps, comme altérité absolue qui met en déroute les certitudes d’une époque, d’une civilisation.

La femme comme trame d’une mythologie qui transcende les frontières. C’est une intellectuelle d’origine sénégalaise qui porte son regard sur le supposé crime.

Le film installe le débat dans un lieu marqué par l’échange contradictoire, la cour d’assises. Rama, universitaire, décide en effet, pour les besoins de son roman, de suivre le procès de Laurence Colly, accusée d’avoir tuée sa fille de 15 mois en l’abandonnant sur une plage au nord de la France.

La question du pourquoi qui arrive au tout début du procès en toute logique narrative cède la priorité à la question cinématographique du comment.

Comment filmer un procès sans remonter les sentiers balisés déjà par le cinéma américain et surtout par les séries américaines qui en ont fait un genre à part entière.

La pratique en la matière   veut que la mise en scène du tribunal, fortement ritualisée, dicte au cinéma sa propre mise en scène. Avec le film de Diop, c’est la mise en scène du cinéma qui ordonne celle du procès : on ne suit pas le réquisitoire, on ne voit pas le verdict.

Diop filme un lieu fortement sémiotique et capte le commerce des signes qui s’y déroulent.

La captation de la parole est sublime ; comme celle des silences grâce à un recours éloquent au plan fixe frontal.

La mise en scène du jeu de regard, entre le box des accusés, le juge, l’avocat de la défense et les rangs du public, instaure un rapport de forces évolutif.

A un certain moment, la caméra capte justement un bref échange de regard entre la jeune mère accusée et Rama, enceinte elle-même. Un échange qui se termine par l’ébauche d’un sourire.

Le regard de Rama, son écoute, ses réminiscences (une série de flashbacks sur ses rapports avec sa propre famille…) accompagnent son évolution intellectuelle autour de la question centrale, celle de la maternité dans un contexte social déterminé historicisé.

Le film laisse alors le procès dans une construction ouverte : une série de plans sur la salle d’audience vide, les rues de la ville désertes.

Une manière de nous renvoyer à notre propre verdict. Comme celui du plan final avec une Rama prenant la main de sa mère et une forme de sérénité planant sur les lieux.


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