Philosophie et critique de cinéma
Mohammed Bakrim
« Pour le philosophe Benmakhlouf l’enjeu pour le cinéma est de traquer, capter l’étrange derrière le familier »
Tout récemment, je découvris avec plaisir comment l’apport d’un philosophe, logicien de renommée internationale, Ali Benmakhlouf, peut contribuer à mieux affiner nos lectures de films, à leur donner une assise épistémologique consistante. Développant une réflexion pleine d’intelligence, nourrie des apports de Jacques Rancière (sur l’esthétique) et de Michel Foucault (Surveiller et punir), il revisite une formule tant galvaudée dans le discours dominant chez une certaine critique, celle du visible et de l’invisible au cinéma. Pour Benmakhlouf l’enjeu pour le cinéma est de traquer, capter l’étrange derrière le familier. Justement au cinéma, il s’agit de rendre visible le visible comme le développe Foucault pour la philosophie. Ali Benmakhlouf explicite davantage en nous résumant la thèse de Foucault : le rôle de la philosophie n’est pas de découvrir ce qui est caché, mais de rendre visible précisément ce qui est…visible. Faire apparaître ce qui est proche, si lié à nous-mêmes que pour cette raison justement il passe inaperçu…sauf quand le cinéma le capte et nous le restitue. Le cinéma rejoignant ainsi la philosophie : faire voir ce que nous voyons. Je cite deux films qui font dans ce « rendre visible, le visible ». D’abord Winter sleep de Nuri Bigle Ceylan (palme d’or) : film sur le quotidien, dans sa trivialité ; un gamin en colère qui casse une vitre de voiture, de longues scènes de palabre familial ou entre villageois…Soudain on voit ce que nous survolions : le désarroi, la détresse ou la mélancolie.
L’autre film est Al ayel (le gosse de Tanger, 2005) de Moumen Smihi : la scène d’ouverture, une scène de déjeuner frugal, pour les cinéphiles un clin d’œil au maître japonais Ozu ; en effet, on découvre une famille réunie dans un plan fixe, des paroles échangées…et le plan nous offre tout le temps pour voir ce que nous voyions tous les jours sans « un arrêt sur image ». Sans voir, en somme. « Il faut un phrasé de l’œil » nous dit Benmakhlouf pour voir tant de choses dans la vie qui ne sont pas visibles. « Le cinéma, par son montage est l’un de ses phrasés ».
Une autre réflexion éclairante pour la pratique de la critique cinématographique sous les auspices de la pensée. Celle de Gilles Deleuze qui nous invite à placer la barre très haute : le cinéma est « pensée » et la critique doit contribuer non seulement à mettre au jour cette pensée mais à fonctionner elle-même comme pensée avec ses propres concepts qui induisent une pensée spécifique. « Pour Deleuze, la critique cinématographique ne doit pas se contenter de décrire des films ou de faire l’histoire du cinéma, mais, en créant des formes et des concepts qui ne conviennent qu’au cinéma, elle crée, d’une certaine façon, du cinéma ». L’apport de ses deux ouvrages L’image-mouvement et L’image-temps est dans ce sens une contribution fondatrice.
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