Nouvelle publication de l’IRCAM : “L’amazighe dans l’enseignement scolaire au Maroc” de Fatima AGNAOU
Propos recueillis par : Moha Moukhlis
Cette publication de l’Institut Royal de la Culture Amazighe se veut une contribution à la réflexion conceptuelle et à la consolidation de la pratique didactique dans la perspective de l’amélioration de l’enseignement-apprentissage de l’amazighe. Pour en savoir plus, nous avons posé trois questions à l’auteur, Mme Fatima AGNAOU, du Centre de la Recherche Didactique et des Programmes Pédagogiques à l’IRCAM.
« La politique de recrutement restrictive grève le processus de généralisation de l’enseignement de l’amazighe ».
1.Pour commencer, parlez-nous du contexte de cette publication
Au Maroc, la place des langues dans le système d’éducation et de formation est une question récurrente dans les débats politiques, socioculturels et éducatifs. Plus spécifiquement, les questions controversées depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1956 portent, d’une part, sur la/les langues d’enseignement : adopter l’arabe et/ou le français ? Les employer de façon simultanée ou complémentaire ? Les questions portent, d’autre part, sur les langues à enseigner : lesquelles ? Dans quel but ? Par qui ? Comment ? L’amazighe est principalement concerné par ces dernières questions, notamment parce qu’il s’agit de la dernière langue à être introduite dans le système d’éducation et de formation.
En août 2019, la loi cadre n° 51.17 relative au système d’éducation, de formation et de la recherche scientifique consacre à la problématique des langues quatre articles (27, 28, 29, et 30) en focalisant sur la maitrise des deux langues officielles, l’arabe et l’amazighe, l’enseignement des langues étrangères et les langues d’enseignement. D’autres questions aussi importantes sont adressées dans cette loi : la restructuration du système éducatif, la révision des curricula et des programmes, et la formation des acteurs pédagogiques.
Cette loi s’enrichit de deux autres lois organiques, la Loi 26.16 et la Loi 04.16. La première loi, datée de septembre 2019, détermine le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique. Elle définit la langue amazighe à enseigner, précise sa graphie et détermine le processus de sa généralisation dans l’enseignement préscolaire et scolaire selon un agenda déterminé. La seconde loi, datée d’avril 2020, se rapporte à la création du Conseil national des langues et de la culture marocaine (CNLCM) ; sa mission stratégique est d’élaborer les orientations générales de l’Etat en matière de politique linguistique et culturelle, et de veiller à la protection et au développement des deux langues officielles, l’arabe et l’amazighe. Il s’agit d’une institution constitutionnelle qui englobe l’IRCAM, l’Académie Mohammed VI de la langue Arabe, d’autres structures dédiées à la recherche sur les expressions langagières et culturelles régionales et locales, et sur les langues étrangères les plus employées dans le monde.
- Quel est l’apport de cette publication pour l’enseignement de l’amazighe ?
En tenant compte de ce contexte marqué par des changements relatifs au statut de la langue amazighe, à ses fonctions et aux modalités de sa promotion dans le système d’éducation, il nous a semblé pertinent d’en évaluer les forces et les faiblesses selon une approche systémique permettant d’examiner les questions suivantes :
- La réflexion stratégique en amont qui éclaire l’assignation d’un statut et des fonctions à l’amazighe en général, et sa place dans le système d’éducation et de formation en particulier ;
- La question pédagogique, notamment les aspects en rapport avec les objectifs visés par l’enseignement-apprentissage de cette langue, les cibles, la durée, l’enveloppe horaire et les pratiques pédagogiques ;
- La question didactique, spécifiquement la nature des savoirs et savoir-faire à transmettre et à développer, leur organisation, leur pertinence, et leur appropriation par les élèves ; et enfin,
- La question linguistique, en l’occurrence la gestion de la variation.
L’analyse de ces questions est focalisée sur les pôles constituant le triangle pédagogique, à savoir l’enseignant, les savoirs et les apprenants, à la lumière de l’expérience de l’enseignement de l’amazighe dans le cadre scolaire marocain. Concernant les enseignants, il s’agit de définir leurs profils de s’interroger sur leurs formations, d’évaluer les ressources pédagogiques mises à leur disposition, particulièrement le manuel scolaire, et d’examiner leur façon de transposer les savoirs en savoirs enseignés. Les savoirs, quant à eux, ont été examinés en relation avec la langue à enseigner, les compétences à développer, les valeurs à transmettre, les ressources à installer et leur planification pédagogique. Enfin, s’agissant des apprenants, élèves, il a été question d’évaluer leur appropriation des savoirs enseignés et la mobilisation de ces derniers dans des situations problèmes.
3.Pourquoi avoir privilégié une approche qualitative ?
La méthodologie adoptée pour l’élaboration de cette recherche est basée, en effet, sur une approche qualitative. A ce sujet, l’analyse documentaire effectuée nous a permis d’analyser la littérature sur la question de l’enseignement des langues en général et celle de l’amazighe en particulier, en focalisant notre intérêt sur les documents institutionnels, notamment la Constitution, les lois organiques 26-16 et 04-16, la loi-cadre 51-17, les textes de référence du MEN, la vision stratégique du Conseil supérieur de l’enseignement. La documentation collectée a été complétée par d’autres sources recueillies sur le terrain par nous-mêmes, notamment l’entretien avec des acteurs pédagogiques, l’évaluation des manuels scolaires, l’observation de classe, l’analyse de l’interlangue des élèves et les stratégies d’étayage mises en place par leurs enseignants. Ces outils nous ont servi à cerner les questions posées et à approfondir les analyses. Les différentes données ont été sélectionnées et analysées en fonction de leur pertinence pour le traitement des questions de recherche spécifiques à chaque axe de la recherche.
4.Quelle évaluation faites-vous de l’enseignement de l’amazighe ?
Après dix-huit années d’intégration de l’amazighe dans l’enseignement scolaire, il ressort que l’expérience comporte des forces et des faiblesses. Les principales forces résident dans l’existence d’un cadre légal et d’un cadre de référence globalement cohérents. En effet, la mise à disposition de textes de référence représente un point fort de la législation marocaine, notamment les textes à caractère constitutionnel. A ces textes il convient d’ajouter les documents à caractère organisationnel qui sont l’œuvre du Ministère de l’Education Nationale. En outre, il semble bien que la promulgation de décrets d’application doit intervenir dans les meilleurs délais pour garantir l’effectivité des lois organiques car ces dernières même si elles produisent un effet positif sur le plan de l’environnement légal, elles se limitent malgré tout à l’énoncé de dispositions générales sans édicter de caractère d’obligation juridique concrète. Il convient aussi d’insister sur les acquis que représentent le curriculum de l’amazighe, les nouveaux programmes, les ressources livresques et les ressources numériques, et le corps des enseignants, bien qu’insuffisant, engagé et créatif.
Quant aux faiblesses, différents facteurs bloquants peuvent être invoqués sur le plan de la gouvernance. Les plus importants sont la non-généralisation verticale de l’enseignement et le non-respect de la masse horaire allouée à cette discipline dans la majorité des écoles publiques et quasiment dans l’ensemble des écoles privées, une enveloppe horaire insuffisante en soi. D’autres ont trait aux incohérences de la stratégie de formation des enseignants et sa qualité, l’insuffisance des ressources numériques et un déficit notable en matière de recherche traitant de l’évolution de l’interlangue des apprenants ainsi que les pratiques enseignantes. Il faut aussi signaler la faiblesse de la maîtrise de la compétence orale chez les apprenants. Enfin, la politique de recrutement restrictive a conduit à l’insuffisance des cadres pédagogiques et du coup grève considérablement le processus de généralisation de l’enseignement de l’amazighe.
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