L’oasis des eaux gelées de Raouf Sebbahi..Une esthétique soufie

Mohammed Bakrim

« Lorsque je danse je ne suis pas seul, je suis relié à la vie, à la terre, aux astres, et donc à l’univers »

Jalal -Eddine Rumi

Le titre trace déjà un horizon de lecture en indiquant une œuvre ouverte sur plusieurs possibles. La dimension référentielle est neutralisée, en effet, au bénéfice d’une dimension métaphorique.

En abordant le récit on découvre qu’ il n’y a ni « oasis » ni « eaux gelées ». Notre imagination vogue et invite à réorganiser les données du récit selon notre perception. Dans ce sens, je formule une première hypothèse : si oasis il y a, c’est bien ce couple de soignants, Kader (Ahmed Hammoud) et Fadhila (Nisrin Erradi).

S’il y a quelque chose de  « gelée », ça relève de l’immatériel ; ce sont les relations de ce couple insolite. Car l’eau coule, celle de la tuyauterie à réparer comme coulent les larmes de Fadhila. 

D’emblée le film nous met en présence d’un plan au point de vue indéterminé : un homme fait sa toilette vue à partir d’une plongée verticale.

Le point de vue de l’aigle ? Du ciel plutôt, car la suite nous apprendra que le personnage est déconnecté de son environnement immédiat pour chercher, via la danse soufie notamment, une autre communion.

L’intrigue en effet est minimale. Un jeune couple moderne ayant tout pour être heureux : un bébé ; un métier qui les valorise humainement ; de la famille aimante…et pourtant ce couple de soignants ne parvient pas à soigner son état de perdition lente et inéluctable. 

Raouf Sebbahi choisit pour son nouveau long métrage d’explorer l’univers du couple dans un contexte culturel et psychologique complexe. C’est une exploration qui se construit au fur et à mesure de l’évolution du récit : nul déterminisme sociologique n’enferme les personnages dans un schéma.

C’est un cinéma libéré de la pesanteur du scénario. Le film ne cherche pas à illustrer un propos, à mettre en image une histoire déjà écrite. Ce qui intéresse le jeune cinéaste ce sont des personnages, des personnages en situation.

Du coup ce n’est pas un film de scénario ; d’un scénario mis en scène comme une certaine tendance lourde du cinéma marocain ; mais plutôt le film d’une mise en scène qui construit son scénario…à l’image de ce mur de souvenirs que construit Fadhila en collant des photos polaroids des instants qui passent.

Captant les instants qui fuient comme une forme de résilience face au travail du temps, au travail de la mort. Le récit est en effet inscrit dans une forme de trajectoire.

La mise en scène privilégie les instants d’attente, de vide et de silence. L’omniprésence des couleurs, des lignes. On peut parler de l’ébauche d’une esthétique « soufie » : minimaliste, discrète et symbolique .

Elle s’attarde sur les couloirs vides, les chambres nues. Fait appel à l’hors-champ, spatial et sonore. Mais c’est un vide métaphysique.

Les personnages sont souvent dans des lieux fermés, dans des intérieurs sans perspectives : chambres aux portes fermées, couloirs, hall d’hôpital…les rares séquences d’extérieurs (ferme parentale, café de la plage…) sont des lieux marqués par la hantise du passé et la figure parentale ou maternelle…

Face à ce destin quasi tragique, les deux personnages optent pour des choix opposés exprimés par la dichotomie des couleurs qu’ils portent : le blanc pour Kader et le noir pour Fadhila.

L’onomastique offre aussi une indication éloquente : « Kader » est plutôt , contrairement au nom qu’il porte un  « incapable » (voir la scène du lavabo) ; quant à « Fadhila », elle est pleine de vertus.

Elle cherche bien le divorce mais reste fidèle à son amour et ne veut pas quitter Kader qui vit ses derniers instants. Il est en effet atteint d’un mal incurable qui le pousse encore vers davantage de réclusion, vers un choix ontologique, culturel exprimé par la récurrence du rituel de la danse soufie.

La danse soufie, également connue sous le nom de “sufi whirling”, est l’occasion d’un clin d’œil à Jalal Eddine Rumi, maître des Derviches tourneurs.

Une danse que pratique Kader dans sa recherche de cet absolu qui le relie au divin ; pour mettre fin à une souffrance plutôt psychologique que physique.  Ce tourbillon donne au film une nouvelle dimension qui transcende tout effet de réalisme pour s’inscrire dans une quête spirituelle.

Certes, Fadhila, avec son pragmatisme ne cesse d’introduire des séquences de rupture dans cette quête. À l’instar de sa virée nocturne dans la ville et cette magnifique séquence au bar avec une brève et éloquente apparition à la Hitchcock du cinéaste.

Le récit étant porté par les personnages, cela implique un grand travail de direction d’acteurs auquel les comédiens ont répondu par un engagement sans faille. 

  • Mohammed Bakrim

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