Les femmes migrantes au Maroc entre la vulnérabilité économique et la violence basée sur le genre

Par Kenza SAMMOUD

Au cours des siècles, en raison de sa situation géographique, le Maroc a toujours attiré les flux migratoires. Aujourd’hui, le Maroc est à la fois un pays d’accueil et de transit pour un flux migratoire important, originaire d’Afrique subsaharienne, qui traverse le Maghreb en route vers l’Europe.

Les femmes constituent plus de 40,7% de la population des migrants, selon les résultats de l’enquête nationale sur la migration forcée de 2021 du Haut-Commissariat au plan (HCP) .
Durant le voyage, plus d’une femme migrante sur 6 a été victime de harcèlement sexuel ou de viol.

Un peu moins de la moitié des migrantes (44,5%) ont fait mention de difficultés rencontrées en cours d’émigration. Selon le HCP, les principales difficultés nommément citées sont par ordre d’importance, le manque d’argent avec 17,7% suivi par l’épuisement physique dû à la marche, la faim et la soif (17,5%), la violence physique et psychologique (13,7%), le harcèlement sexuel ou le viol ( 17,7%), l’arrestation et détention (7,7%), le refoulement, expulsion et déportation (6%).

Enfin, il y a lieu de noter que 4,3% de femmes ont subi une grossesse ou un accouchement lors du voyage. Ces nombres indiquent une augmentation du nombre de victimes de la traite (VdT), de survivant-e-s de violences basées sur le genre (SGBV) et de manière plus générale des femmes migrantes en situation de vulnérabilité le long de la route migratoire.

La violence basée sur le genre: une réalité redoutée par de nombreuses femmes migrantes et réfugiées.

Il est important de prendre en considération que les femmes migrantes et réfugiées sont victimes de violence à tous les stades de leur migration.

Pour beaucoup de femmes, la violence qu’elles subissent dans leur pays d’origine est la cause de leur départ. ”Pendant 20 ans, j’ai souffert de la violence de mon mari.

Après le divorce, mon père voulait me tuer car pour le village, je ne suis plus la fille respectueuse. Alors, j’ai décidé de fuir et c’est là où mon histoire avec la violence et la discrimination a vraiment commencé”, raconte Malia, originaire de Côte d’Ivoire, et demandeuse d’asile.

Elle est arrivée au Maroc il y a un an. Dans le même sens continue Sabina, une fille de 18 ans, originaire de Nigeria : ”A l’âge de 15 ans, j’étais victime d’un viol, et je suis tombée enceinte.

Ils n’ont pas uniquement violé mon corps, mais ils ont violé ma vie, ma stabilité et ma dignité. C’est la raison pour laquelle je suis là aujourd’hui”.

Toutes les femmes migrantes et réfugiées interrogées pour cette enquête ont déclaré avoir été victimes d’une certaine forme de violence sexuelle, y compris de relations sexuelles forcées.

Ces femmes sont aussi victimes de violences pendant leur trajet vers le Maroc.
Les migrantes ont besoin de beaucoup d’argent pour payer les passeurs, et de nombreuses femmes sont contraintes d’avoir des relations sexuelles avec ces passeurs pour payer leurs services.

”J’ai payé environ 300$. L’homme qui s’occupait de moi m’a dit qu’il me préparerait des faux papiers, mais il m’a menacée de mort si j’étais prise et que je parlais de lui. Pendant le voyage, le guide a demandé de l’argent à tout le monde et il m’a demandé d’avoir des relations sexuelles avec lui. Qu’est-ce que je pouvais faire? J’ai accepté. Sinon, il m’aurait abandonnée dans le désert”, continue Nano.

Les femmes seules sont les plus vulnérables aux relations sexuelles forcées et autres formes d’abus sexuels.

“Il a mis sa main sur ma bouche et il m’a violée… Alors deux autres sont venus et ils m’ont violée aussi.

Ils l’ont fait à plusieurs reprises. J’étouffais et j’ai perdu connaissance.

Lorsque je me suis réveillée, j’étais toute trempée, ils avaient jeté de l’eau sur moi. Je ne pouvais pas parler.

Ils m’ont habillée et m’ont laissée là où ils m’avaient trouvée.” confie péniblement Sabine
Pour cette raison, certaines femmes essaient de trouver un compagnon de voyage masculin.

Toutefois, le compagnon choisi peut être lui-même à l’origine d’abus ou de violences sexuelles.

Dans ce cas, la femme peut avoir peur de s’en séparer car elle risquerait alors d’être soumises aux violences et abus sexuels d’autres hommes.

Dans certains cas, les migrantes et les réfugiées sont aussi victimes d’attaques par des gangs organisés, attaques qui sont parfois organisées avec la collaboration des passeurs. Malia, durant son voyage, avait été enlevée par un gang à la frontière entre le Mali et la Mauritanie.

Elle avait été détenue pendant trois mois, période durant laquelle elle avait été violée et battue à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’un des membres du gang la prenne en pitié et l’aide à s’échapper.

Les violences sexuelles et sexistes peuvent être extrêmes, comme le décrit Malia : ”j’ai rencontré des femmes traumatisées qui ont subi des violences extrêmes durant leur migration.

Ainsi, des femmes ont été enlevées par des gangs, déshabillées en public et fouillées au corps pour savoir si elles cachaient de l’argent dans leur vagin”.

L’arrivée au Maroc : des violences multiples à l’égard des femmes migrantes et réfugiées.
La souffrance des femmes migrantes et réfugiées ne s’arrête pas par leur arrivée au Maroc, c’est là où elle explore différents types.

Les conditions de précarité et de vulnérabilité dans lesquelles les migrantes et réfugiées vivent au Maroc sont un des facteurs aggravants qui contribuent à générer des violences physiques et sexuelles et parfois domestiques.

De nombreuses femmes migrantes et réfugiées vivant au Maroc n’ont pas la jouissance de leurs droits humains élémentaires.

La majorité des migrants et réfugiés se concentre aux confins des grandes villes marocaines.

Leur vulnérabilité économique peut dans certains cas signifier que les femmes migrantes et réfugiées sont contraintes de se prostituer sous la pression de leur compagnon, ce qui n’est qu’une des conséquences de la domination masculine parmi d’autres.

Cette domination semble à tel point généralisée que, dans certains cas, les femmes n’ont pu être interrogées qu’avec le consentement de leur compagnon et en sa présence.
L’histoire de Lydia, migrante comorienne, en est l’illustration :

“Je suis arrivée avec mes deux amies. Nous avons beaucoup souffert avant d’arriver à Oujda. Il y avait trois hommes, je ne connais pas le père de ma première fille.

Nous avons vu un groupe d’hommes, qui nous ont dit qu’ils nous aideraient à passer, et c’est là que les trois hommes nous ont violées. Je suis tombée enceinte de ma première fille.

Quand je suis arrivée à Nador, j’ai vu que c’était une forêt, il n’y avait pas de maisons, il n’y avait rien. Tu ne connais personne, tu n’as rien pour survivre. Je voulais me suicider.

Et ensuite, j’ai découvert que j’étais enceinte de quelqu’un que je ne connais même pas. C’est très dur.

Les années passent et les problèmes sont toujours les mêmes : la violence, l’absence de logement, tout reste pareil.

Même si les organisations de la société civile nous aident à payer la maison pendant un certain temps, rien ne change, car je ne travaille pas.

Nous dormons maintenant dans un salon que l’on nous a laissé, sur le tapis, sans matelas, sans couvertures. Lorsque je me prostitue, je ne gagne rien, tout juste de quoi payer un peu de pain et de lait.

Parfois on me paye 20 dirhams pour un rapport sexuel. Parfois, je mendie avec les filles. Je suis obligée de dormir dans le salon car je ne suis pas capable de payer une chambre. Je supporte la violence ici depuis trois ans.

Je vis le racisme de tous les côtés, au quotidien. Lorsque je rentre dans les magasins, certains se bouchent le nez pour signifier que je pue.

Parfois, je me demande si quelqu’un accepterait d’adopter mes filles car je ne suis pas capable de m’en sortir avec elles. Je me lève le matin et la petite pleure car elle a faim et je n’ai pas un dirham pour lui payer un biscuit.

On nous a chassées de plusieurs maisons car nous ne pouvions pas payer et nous nous sommes retrouvées dans la rue, parfois la nuit, parfois même sous la pluie”.

Beaucoup de migrants déportés dans la zone frontière vivent dans des conditions inhumaines, et ce manque de sûreté et sécurité les expose à la violence.

“Dans une forêt à quelques kilomètres d’Oujda, j’ai perdu mon fils de deux ans. Nous vivons ici comme du bétail. Sans le statut de réfugié donné par HCR, on n’a pas accès à l’hôpital.

Malgré de graves blessures, j’ai été déportée à Oujda sans soins médicaux”, déclare une femme ivoirienne, âgée de 35 ans.

« Face à la situation économique vulnérable de ces femmes, le travail est la seule solution pour survivre. Et malheureusement, là aussi, les femmes migrantes et réfugiées sont souvent victimes de violences et de discrimination de la part de leur employeur », nous confie Maria.

Ces femmes, et tout particulièrement celles qui sont en situation irrégulière, ont cependant peur de signaler ces abus à la police et ne peuvent donc pas avoir recours à la justice.

L’absence de statut légal signifie également que ces femmes ont peur de voyager pour rechercher du travail, même à de très faibles distances.

Les conditions de travail médiocres, les maigres salaires et les abus de la part des employeurs conduisent ces femmes réfugiées à changer de travail assez souvent, augmentant ainsi l’instabilité financière et émotionnelle à laquelle elles sont déjà soumises suite aux conflits et aux difficultés auxquelles elles sont confrontées.

Nombreuses les femmes qui auraient été victimes de harcèlement de la part de leurs employeurs, elles auraient été insultées, menacées de renvoi et privées de leurs salaires pendant plusieurs mois, ou encore payées moins que ce qui avait été convenu. Beaucoup n’ont pas le droit d’utiliser les toilettes ou de boire de l’eau dans des tasses chez leurs employeurs.

D’autres ont été accusées de vol et renvoyées sans toucher aucun salaire. Cela augmente bien évidemment le sentiment d’insécurité parmi les autres femmes qui travaillent comme employées de maison. “j’ai travaillé pendant 6 mois comme femme de ménage chez une dame à Oujda.

A chaque fois, je demande mon salaire complet, elle me disait que, si je continue à le réclamer, elle appellerait la police pour dénoncer un « vol de bijoux ». C’était une sorte d’esclavage”, se souvient Maria.

Plus que le travail domestique, aussi, les autres secteurs de travail accueillent centaines des migrantes mais sans aucun contrat, par exemple: Dans les usines de poisson et dans l’agriculture, les conditions sont très dures mais ne différait pas des autres collègues marocaines, elles rapportaient surtout des journées de 14 heures quotidiennes et percevoir 100 dirhams par jour.

Même les réfugiées reconnus par HCR, et bénéficiaires de la formation professionnelle inclue dans le processus du HCR et ses partenaires au Maroc, souffrent d’un manque d’accès aux opportunités professionnelles qui les oblige à survivre avec des activités qu’elles n’ont pas désirées, poussées par la situation de vulnérabilité dans laquelle elles se trouvent ; et cela génère une reproduction d’une violence économique à l’égard de cette catégorie.

Le racisme : une autre forme de violence contre les femmes migrantes “Ils te voient comme du bétail parce que tu es pauvre et noire. Tu te balades dans la rue et les hommes se touchent le sexe.

C’est ça l’image qu’ils ont de nous : des professionnelles de sexe et des pauvres qui mendient. Ce n’est pas bon ni pour nous ni pour eux. Que montrent-ils à leurs enfants avec ces comportements ? quel est notre futur et celui de nos enfants ici ?“ se demandent Elischa, une réfugiée congolaise.

La violence devient systématique et structurelle, menaçant les droits au quotidien des femmes migrantes et réfugiées. Cette situation devient un obstacle grave pour l’intégration sociale et économique dans la société marocaine.

Ces agressions continuent se transforment en un problème social qui porte atteinte à la cohabitation dans les contextes dans lesquels les femmes migrantes résident.

Ces dernières subissent des agressions quotidiennes. On leur jette des pierres, on leur crache dessus, les petits enfants viennent leur toucher les fesses. Ils ne font pas cela à leurs compatriotes, ni aux blanches, ils le font aux noirs”, poursuit Elischa.

Le racisme est un élément qui est identifié par les personnes interrogées comme l’une des violences les plus humiliantes par lesquelles elles doivent passer au Maroc.

Elles déclarent que leur vie dans le pays est marquée par le fait d’être migrantes et femmes, mais également par le fait d’être noires.

Le classisme et la discrimination vis-à-vis de leur culture et de religions, autres que musulmane, sont également mentionnés comme des problèmes qui portent atteinte à leur processus de cohabitation dans le pays.
D’autre part, le caractère transnational de la violence de genre traverse également les migrations et cela se ressent dans les récits des femmes rencontrées.

Les menaces à la sécurité, à l’intégrité et à la liberté provoquées par les inégalités de genre impliquent que l’exposition aux violences des femmes migrantes soit différente.

Être femme débouche sur le fait que les mêmes violences qu’elles subissaient dans leurs pays d’origine se répètent, accentuées par des processus de vulnérabilité causés par leur situation migratoire.

Être une femme migrante les expose à des violations des droits humains, en étant victimes de la violence perpétrée par les sociétés de transit et de destination des migrations, mais aussi par les compagnons des communautés migratoires elles-mêmes.

Quelle réponse institutionnelle ?

Le Maroc a initié, en 2013, une politique migratoire particulièrement ouverte et respectueuse des droits humains.

En rompant avec les pratiques passées, il véhicule ainsi une vision plus positive des mobilités humaines.

D’importants progrès ont été réalisés en matière d’immigration et d’asile. Cependant, le processus devant conduire à l’instauration d’un dispositif juridique et institutionnel national de l’asile n’est toujours pas abouti à ce jour, principalement en raison de l’ajournement de l’adoption de la loi sur l’asile.

En l’absence de texte législatif qui régit la reconnaissance de l’asile, des centaines de personnes continuent, depuis plusieurs années pour la plupart, à être considérées par l’Etat marocain comme demandeurs d’asile.

Pour Imane El Fakkaoui, Docteure en sociologie spécialisée en migration Internationale « la politique migratoire du Maroc est un dispositifqui permet de gérer la migration en interne et depuis 2013, et avec la stratégie nationale d’immigration et d’asile, on a réalisé plusieurs avancées, comme les vagues de régularisation, cependant, il reste encore des choses à faire.

Il faudra tenir en compte que le Maroc aujourd’hui n’est plus un simple pays de transit, il est en entrain de se transformer en un pays d’installation pour des milliers de migrants, ce qui fait que l’intégration, le vivre ensemble, l’accès aux services devraient être garantis ».

Selon les résultats de l’Enquête nationale sur la migration forcée de 2021, presque trois migrants sur cinq sont des hommes (59,3%).

Le taux de féminisation des migrants est ainsi de 40,7%. Les femmes subissent une peine multiple : celle d’être femme, sans papiers, noire et pauvre.

Elles subissent des discriminations telles que le racisme et la violence. « Il est important de mentionner que la migration féminine est très spéciale, car le parcours d’une femme migrante ne ressemble pas forcément au parcours d’un homme migrant.

Pour une femme, migrante, sans papiers, avec des revenus irréguliers et aléatoire, le parcours est souvent semé d’embuches et caractérisé par des violences basées sur le genre et des inégalités » continue l’experte Imane El Fakkaoui.

Le gouvernement Marocain n’a jamais abordé directement le problème des violences contre les femmes migrantes et réfugiées, que ce soit par le biais de sa politique d’immigration et d’asile ou de sa politique concernant les violences faites aux femmes.

Mais généralement dès l’instant où les gens sont sur le territoire marocain, soumis au droit marocain.

Mais en pratique, faisant rapport aux autorités pour déposer des plaintes, la loi impose la délivrance d’une carte de séjour ou du statut de réfugié.

« J’ai été victime de très graves violences physiques, et quand je suis allé au poste de police, le policier m’a demandé mes documents, afin qu’ils puissent écrire ma plainte, alors quelle protection pour ma dignité et mes droits en tant qu’être humain avant tout ? »

Déclaration de Sabina.

Selon Imane El Fakkaoui, chercheuse, «Les migrantes irrégulières sont, dans de nombreux cas, victimes des violences, elles passent par la société civile qui prend en charge leurs dossiers.

Il y a, toutefois, un grand problème d’accès à l’information. De ce fait, la plupart des migrantes victimes n’ont pas cet accès aux canaux des associations », Conclut-elle
Pour Imane El Fakkaoui, afin de mettre fin à tout genre de violence contre les femmes migrantes et réfugiées, des changements fondamentaux doivent être mise en place. Par exemple :

• Apporter des solutions effectives aux problèmes des femmes migrantes aux Maroc « quand une migrante se présente à l’annexe administrative pour déclarer son enfant à l’état civile et on lui demande un acte de mariage, alors qu’elle n’est pas mariée, ceci est un obstacle » déclare Imane.

• Faciliter l’accès des personnes migrantes au marché de l’emploi dans des conditions respectueuses du droit marocain du travail.
Assouplir la procédure de régularisation de situation administrative

• Promouvoir des politiques migratoires sensibles au genre. Pour les chercheurs académiques, il serait important de créer des alliances avec la société civile œuvrant dans le domaine de la migration pour apporter un plaidoyer axé sur les politiques migratoires.

• Pour les journalistes, il est important d’assurer une couverture médiatique qui promeut le vivre ensemble et le respect de la diversité dans la société marocaine.


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