L’école de l’espoir de Mohamed El Aboudi : Vidas secas

Mohammed Bakrim

Le parti pris esthétique qui porte le film d’EL Aboudi est celui de la sobriété et du dépouillement

C’est un fait significatif et éminemment symbolique de voir la rentrée cinématographique entamée par la projection d’un film documentaire. Est-ce à dire que la fiction a épuisé ses armes et que le retour aux sources du cinéma, le documentaire, s’avère salvateur face à la complexité du monde ? Le geste de la deuxième chaîne marocaine 2M mérite ainsi d’être souligné et salué en présentant à un public assoiffé du grand écran, le nouveau film documentaire, L’école de l’espoir de Mohamed El Aboudi.

« Il faut bien reconnaître que c’est la télévision qui a réinsufflé la vie à un genre moribond, note le documentariste Alan Rosenthal ; et comme le docteur Faust de Goethe, elle pose ses conditions ». Certes, il y a beaucoup de vrai dans cette affirmation,  la télévision, notamment certaines chaînes de la sphère anglo-saxon ont réhabilité le genre, lui rendant ses lettres de noblesse ; cependant, dans le cas de figure, la chaîne de Aïn Sbaâ en organisant une projection dans la tradition des avant-premières cinéma, reconnaît implicitement que la patrie originelle du documentaire demeure la salle de cinéma.

Une forme d’humilité du petit écran devant la légitimité artistique et culturelle de son aîné, le grand écran. C’est tout à l’honneur de Réda Benjelloun et ses amis. D’autant plus que le film d’El Aboudi est à la base un projet cinéma porté par la dynamique productrice Lamia Chraïbi, la figure montante du renouveau du documentaire marocain et dans la région MENA. L’école de l’espoir a en effet bénéficié de l’avance sur recettes du CCM et a été coproduit avec 2M.

Cette relation est importante à rappeler car elle a des implications, au-delà de sa dimension institutionnelle, sur l’esthétique du film. Pour faire vite, je dirai que le documentaire a besoin du temps or la télévision de par sa nature n’a pas de temps ; c’est pour cela qu’elle préfère le reportage, le fast food de l’écriture audio-visuelle ; on ne pourrait jamais imaginer par exemple une chaîne de télévision grand public présenter A l’ouest des rails du chinois Wang Bing dont la durée dépasse les neuf heures.  Le film d’El Aboudi n’en n’est pas là ; mais ses films sont traversés par cette dimension de durée. Il filme ses sujets dans la durée. L’école de l’espoir comme le film qui l’a fait connaître, Dance of outlaws (2012) sont des récits au long cours.

Dance of outlaws suit le parcours quasi tragique d’une jeune femme en butte aux traditions et qui fait face aux  tracasseries administratives pour donner une identité officielle à sa fille née hors mariage. On suit cette femme issue du peuple, danseuse dans une troupe populaire, à la fois dans sa vie intime comme dans ses démarches vers une reconnaissance sociale, pour sortir de la marge. Le film a eu une riche carrière dans les festivals internationaux et a été présenté au festival national du film ; mais dans sa forme et dans son propos, il dépasse les possibilités de paysage télévisuel actuel

C’est une autre marge que va capter L’école de l’espoir ; le cinéaste nous fait voyager cette fois  dans le Maroc profond, sur les Haut-plateaux de l’Atlas à travers le destin d’une communauté en train de disparaître, celle des nomades éleveurs de moutons. L’argument dramatique du film tourne autour de la question de l’école : comment cette population appelée sans cesse à bouger au gré des aléas climatiques va-t-elle gérer son rapport à l’éducation institutionnelle de ses enfants ?

Un plan en ouverture du film nous donne déjà une indication : on découvre un troupeau de moutons d’emblée (je n’ai pas pu ne pas penser à l’ouverture du film Les temps modernes de Charlie Chaplin ???!!!) ; et tout au fond de l’image, une maison minuscule. On apprendra plus tard qu’il s’agit de l’école.  Le film donne ainsi avec ces images le rapport de forces qui va orienter l’ensemble du récit ; il dessine en filigrane le rapport nature et culture qui va écrire la dramaturgie du film.

Le rapport de cette population à l’école ne sera pas déterminé par des choix ou des doutes idéologiques ou moraux (même si un père à un moment du film dit préfère voir sa fille se préparer à devenir femme de foyer) mais par la situation de leur troupeau et surtout comment lui assurer un point crucial dans ces milieux semi-désertiques, l’eau. C’est l’eau en effet le véritable protagoniste du film.

Comment cela va-t-il se traduire au niveau des choix de mise en scène ? Je note que le film a réussi à échapper à deux écueils. En filmant ces paysages, il n’a pas cédé à la tentation facile de laisser  l’espace lui imposer son « esthétique » ; il a évité de faire de ce beau paysage de belles images, à la carte postale touristique ; l’alternance de larges plans  extérieurs et des plans rapprochés intérieurs assure au film un équilibre visuel qui n’écrase pas le sujet. On ne voit pas un film pour ses beaux plans !

Le deuxième écueil consiste pour le film d’éviter d’être emporté cette fois par le drame vécu face à la pénurie généralisée qui marque le contexte décrit ; en filmant ces populations abandonnées, au milieu de nulle part, il n’a pas versé dans le misérabilisme.

Le parti pris esthétique qui porte le film d’EL Aboudi est celui de la sobriété et du dépouillement. D’où le titre de mon article, Vidas secas, un clin d’œil au film de Nelson Pereira Dos Santos, cinéaste brésilien, un des fondateurs du mouvement «  Cinema Nuovo » qui a marqué le cinéma brésilien dans les années soixante et que Glauber Rocha a synthétisé dans le manifeste Esthétique de la soif ».

Avec le film d’El Aboudi on peut paraphraser Glauber Rocha en parlant cette fois « d’esthétique de la soif ». C’est la sécheresse en effet qui oriente l’action. Quitte à voir un peu le récit fonctionner avec la logique nomade, allant d’un personnage à l’autre : suivre le parcours des trois enfants (Miloud, Fatima, Mohamed), la vie de l’instituteur et voyager carrément avec les camionneurs à la recherche d’un nouveau point d’eau.

La figure de l’instituteur aurait mérité à elle seule de porter le film de bout en bout. Rien qu’avec ce personnage exceptionnel, le film mérite pour moi tous les éloges. On le voit d’ailleurs dans la très belle scène finale avec ce plan-panoramique lointain où il engage avec son élève une discussion sur qui va arriver le premier ; résumant ainsi la finalité de l’acte pédagogique : le maître qui réussit est celui qui, in fine, est dépassé par son élève !


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