AZULPRESS – Mohamed GALLAOUI
Traditionnellement, le Maroc est représenté comme un pays d’ouverture, de tolérance et de coexistence plutôt pacifique. Il n’y a pas si longtemps, on glorifiait les mérites de ses choix pluralistes et stratégiques ayant assuré sa stabilité politique en dépit des vicissitudes idéologiques générées par la guerre froide qui ont donné lieu à des périodes d’intransigeance et d’incertitude. Mieux encore, la diversité et la richesse de son patrimoine ont permis le foisonnement de sa production scientifique, littéraire, musicale et folklorique. Rappelons juste que pas plus loin que durant les décennies soixante et soixante-dix du siècle passé, le baccalauréat marocain se prévalait dans les écoles internationales; qu’avant la révolution numérique, notre patrimoine sillonnait dans l’ensemble du monde arabe et même en Europe : que ce soit dans le domaine littéraire et de la sociologie politique ( A. Laroui, Allal Fassi, A. Lahbabi, A. Khatibi, P. Pascon, F. Mernissi…) ou dans le domaine théâtral et artistique (T. Seddiqui, A. T.Laalej, Bouchaib al-Bidaoui, Nass al-Ghiwane, J.Jilala, Lemchaheb …) en plus des ténors de la chanson dite moderne ( Ahmed Bidaoui, Abdelouahab Doukkali, Abdelhadi Belkhiyat, Bahija Idriss, Naima Samih…) sans oublier le rayonnement sportif du Maroc à l’échelle mondiale ( S. Aouita, N. AL-Moutawakkil et H. el-Guerrouj …)
L’avènement du « printemps arabe » a donné momentanément une lueur d’espoir quant aux transformations devant permettre aux marocains de joindre le cercle des peuples émancipés. Contrairement à la plupart des républiques arabes (Tunisie, Egypte, Syrie, Yémen…) qui se sont résignés dans la répression, le Maroc en est sorti quasiment indemne en donnant des signes d’ouverture, soldés par l’adoption d’une constitution plus libérale !
Mais ce « printemps arabe » ne fut malheureusement qu’un chimère non seulement parce qu’il a permis, dans la majorité des cas, aux forces jugées obscurantistes et rétrogrades de paraitre aux yeux des citoyens comme la seule alternative crédible, face à l’effritement des forces politiques classiques (D. Rousseau : Radicaliser la démocratie p.13) mais surtout parce que les autorités au pouvoir n’avaient qu’un souci : la pérennité du régime quitte à céder le gouvernement aux mains d’une dictature théocratique encore plus archaïque.
Et, au moment où partout dans le pays des cris de détresse et d’indignation s’accentuent face à l’injustice et l’inégalité, il parait surprenant de voir nos responsables persister à faire la sourde oreille ou pire à vouloir en accroitre le poids en bafouant carrément les droits individuels et collectifs. Un « appareil répressif » s’installe au lieu et place d’un Etat de droit dont se réclame la dernière constitution. Qu’advient-il de la notion de violence légitime quand on use délibérément d’une répression aveugle contre des manifestants pacifiques, sous prétexte de les protéger d’une contamination collective de l’épidémie ? Comment expliquer autrement l’acharnement de certaines autorités publiques à vouloir faire taire quiconque s’aventure à réclamer ses droits légitimes ! Est-ce le Signe d’un avilissement de la pensée ou le résultat d’une pression de circonstances dont on ignore les sources et les finalités ? Mais le plus dangereux, y compris pour l’Etat est son recours à de pseudo journalistes et youtubers sans foi ni loi, dont la majorité ne sont que des usurpateurs prêts à bafouer la déontologie du métier pour quelques prébendes.
Qu’est ce qui fait que nous soyons arrivés à ce point de dysfonctionnement du système juridique en l’espace de peu de temps ? Comment ne pas croire ceux qui déclarent que notre pays soit devenu exemplaire en matière de violation des droits de l’homme ? Dans la quasi-totalité des domaines politiques, économiques, artistiques et culturels… la médiocrité sonne comme la règle au détriment de toute créativité réelle donnant à croire à une inadaptation de la société globale avec l’évolution de son époque ! Même si cette situation n’est pas spéciale au Maroc, elle y prend des proportions gravissimes eu égard aux déficiences des structures socioéconomiques de l’Etat.
Les élites partisanes, par ignorance des théories fondatrices de la démocratie ou par asservissement politique, non seulement ne retiennent de celle-ci que la face numérique « majorité-minorité », mais surtout la dénaturent par des pratiques frauduleuses et malsaines en détournant les règles élémentaires des lois électorales : achat des voix, transhumance, ralliement des partis ayant des garanties d’« être vainqueurs »… La conséquence est une fracture manifeste entre la société et l’ordre politique. Une fracture d’autant plus alarmante et plus inquiétante qu’elle est silencieuse. Le système tourne à vide, c’est-à-dire que les électeurs ne se retrouvent pas dans les discours et les promesses des élus, et ces derniers se détournent de leurs engagements électoraux tant ils sont confortés par les avantages matériels que leur procure le statut de représentants ; Seulement serait naïf quiconque évaluerait le manque de réaction de la population comme synonyme d’une véritable stabilité. Ils oublient qu’en régime démocratique, il y a toujours un moment de rupture où la population ou tout au moins une frange importante de celle-ci manifeste sa désapprobation de la politique des leaders qu’elle juge ne pas répondre à ses aspirations, ses attentes et ses préoccupations. « Quand une telle situation se produit, quand le système représentatif est nu, l’expression qui, comme par hasard, s’impose sous la plume est celle de « tremblement de terre » ou de « séisme » (Rousseau, ibid. p.19)
Chose inimaginable il y a quelques décennies : le dépaysement des militants de la base au sein de leurs propres partis, notamment de gauche, n’a jamais atteint un tel degré de fracture entre leaders et adhérents. Cette désaffection s’est traduite souvent par une rupture non moins décisive entre électeurs et leurs candidats, tout aussi bien à l’échelle locale que nationale, ces derniers n’étant plus dignes de confiance puisqu’une fois élus, se détournent de leurs engagements préélectoraux pour se mettre à la solde du pouvoir.
Les intellectuels, quant à eux, se confinent dans un le silence mitigé face aux interventions musclées des appareils répressifs (police et justice) qui prennent souvent l’allure d’actions arbitraires et qui s’accentuent d’autant plus que ces autorités s’engouffrent dans un mutisme total sur le bien-fondé de leurs actions, chose qui astreint ces intellectuels à ne pas s ‘exprimer sur la politique à partir d’une logique de la connaissance. En parallèle, les technocrates et les experts s’accaparent du rôle de l’intellectuel et du dirigeant politique. Et c’est là que le bât blesse. Vouloir gérer une société entière à l’instar d’une entreprise commerciale, sans tenir compte du contexte global et des particularismes socio-économiques, finit par effriter toute chance de communication politique en tant qu’espace d’affrontement des idées contradictoires, D’où l’instabilité politique que la logique de la violence et de la terreur, voire de la soumission involontaire ne font qu’exacerber.
En exerçant la pouvoir, le parti islamiste majoritaire, le PJD, n’a pas réussi la moindre réforme qui répond aux aspirations des couches populaires, bien au contraire. Ses tractations populistes l’ont transformé en véritable machine prête à broyer ceux qui osent remettre en cause sa gestion des affaires publiques, conforté en cela par la prééminence de sa stature en tant que premier parti dans l’échiquier électoral, une stature acquise par une très légère avancée par rapport à ses adversaires politiques, qui eux, s’engloutissent dans la béatitude des leaders dépositaires d’une certaine légitimité historique ou politique et qui reproduisent les mêmes schèmes makhzéniens afin de parer aux suites d’une démocratie que, foncièrement, ils refusent.
A l’heure où la diplomatie marocaine s’active pour recouvrer l’entière reconnaissance internationale de ses droits légitimes sur son Sahara, il est impératif d’apaiser la scène politique interne car le passage de la revendication d’un droit à sa reconnaissance est actuellement soumis à une série de conditions dont principalement la démocratisation de la société. A moins de considérer que la rigidité et l’intransigeance de notre système politique est une marque pérenne de sa nature historique immuable.
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