Le football comme spectacle télévisuel

Mohammed Bakrim

Le football à la télévision, c’est une véritable « affaire » ; au propre comme au figuré. La télévision depuis le tournant des années 1980 est devenue une pièce maîtresse dans le commerce général autour du football. Je ne suis pas loin de penser que c’est la télévision comme machine de spectacle structurante, qui est derrière l’augmentation du nombre des équipes dans les phases finales de la coupe du monde. Plus d’équipes veut dire plus de matches et donc plus de public cible à toucher…plus de publicité et plus d’argent pour alimenter, entre autres, les bureaucrates de Zurich.

Mais le football à la télévision, c’est aussi une affaire d’esthétique. Avec le nombre de spectateurs ciblés, les chaînes de télévision s’ingénient à développer leur stratégie de captation. Le match n’est plus abordé comme un événement à (re) transmettre, comme une information, mais c’est un spectacle dans le spectacle. Un spectacle qui suppose des règles de mise en scène qui finissent par former une véritable dramaturgie du spectacle footballistique télévisé. Il est révolu le temps de la télévision de papa où une caméra se contentait de suivre le ballon à la manière d’un spectateur de tennis assis dans les tribunes (gauche-droite ; droite-gauche).

Aujourd’hui, la mise en scène du football à la télé est marquée par deux tendances esthétiques qui assoient leur référentiel sur la grammaire du langage cinématographique. On peut résumer ces deux tendances par deux figures représentatives de deux courants antinomiques du cinéma : Abbas Kiarostami et Sam Peckinpah.

D’un côté on filme un match en privilégiant les plans larges, une succession de plans séquences ; de l’autre, on coupe beaucoup en multipliant le nombre de plans : on alterne les plans larges, gros plans ; inserts avec variations de points de point de vue (les joueurs, l’arbitre, le banc de touche, les spectateurs…) ; avec beaucoup de répétitions et de ralentis.

Ce dispositif a connu sa révolution avec l’arrivée de la chaîne cryptée française, Canal plus au début des années 1980 qui a introduit la mode de la multiplication du nombre de caméras dans un terrain de football. On est passé du schéma figé de trois caméras à une véritable régie de tournage portée par près de 20 caméras.

On ne se contente plus uniquement de filmer le jeu, mais on insiste sur les joueurs, l’environnement du match. Avec un nombre important de caméra, le découpage est devenu l’élément central dans la transmission d’un match. C’est ainsi que dans un matche filmé, disons dans le style Canal plus ou BeIN (tendance Sam Peckinpah), on peut compter jusqu’à mille plans (un plan large dure 11 secondes), alors que dans le style classique (tendance Abass Kiarostami), on reste dans la moyenne de 300 à 400 plans (un plan large dure 30 secondes).

Dans le premier cas, on cherche l’émotion, on implique le téléspectateur, il est dans « le cinéma de l’immersion » ; dans le second, on offre la possibilité de l’analyse tactique puisque dans un plan large, on voit l’action dans sa continuité (situation initiale-développement-situation finale).

Je pense que la retransmission de l’édition Qatar 2022 offre un mixte des deux formules. Le but marocain contre le Portugal m’en donne une illustration ; le but a été filmé selon les deux approches. D’abord on suit l’action en plan large avec un léger panoramique pour suivre le geste extraordinaire d’En-Nesyri ; puis la répétition qui nous le restitue en détails dans sept plans. On ouvre sur un plan large avec panoramique gauche droite pour suivre la passe latérale vers Ounahi ; un plan large de dos suivant son avancée vers la gauche. Puis des plans successifs avec des inserts sur Rolando, le public et un plan rapproché sur En-Nesyri. Enfin, on conclut sur un plan large pour capter la joie du joueur et de ses collègues.

Mohammed Bakrim


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