Le film marocain à l’épreuve du streaming

Mohammed Bakrim

« Comme je suis pessimiste, je vois la fin des choses plutôt que leur début »

J.-L. Godard

Cela devrait finir par arriver. L’entrée du cinéma marocain dans l’ère du streaming et des plateformes est la chronique d’une rencontre annoncée. La dure période de la pandémie a induit de nouvelles pratiques spectatorielles et a accéléré l’émergence d’un nouveau « consommateur des images ». Le spectateur servi à domicile. La multiplication et la variété de l’offre ont convaincu les derniers résistants (j’ai fini par m’abonner à quatre plateformes durant cette période). Le centre cinématographique, emblème d’un cinéma lié à la salle, a initié une expérience de programmation en streaming qui a rencontré un vif succès…en termes de nombre de vues et ou de visites. On ne parle plus de nombre de spectateurs.

Sur le plan international, les services de streaming légaux, disponibles gratuitement, à la carte ou par abonnement font florès. Ils occupent désormais l’horizon du spectateur du cinéma. Netflix est en passe de devenir le maître ordonnateur de ce qui reste encore du paysage audiovisuel et cinématographique.

C’est dans ce contexte, que le groupe Nabil Ayouch a choisi de lancer une expérience locale inédite avec la plateforme AflamIn. C’est une initiative opportune avec un grand sens et maîtrise du marketing. Une initiative qui peut se lire comme un acte contre l’immobilisme qui caractérise le secteur du cinéma dans son volet exploitation. Cela est conforme aussi avec un ancien souci de Nabil Ayouch, celui de sortir le cinéma marocain du marché parallèle, de l’informel C’est donc dans un environnement moribond, marqué notamment par l’absence d’un marché intérieur qu’AflamIn vient proposer une offre qui se veut à la fois nationale d’abord et internationale.

Sur le plan technique, le nouveau produit a des qualités qui capitalisent à partir des acquis réalisés en la matière : interface efficace, simplicité de la relation avec le client. L’accès offre au moins trois possibilité d’abonnement : un mois (45 dhs) ; trois mois (120 dhs) ou six mois (230 dhs). Le menu d’un accès rapide propose un page accueil ou encore abonnements, les plus regardés, catégories. Le classement des films par catégories pose une vraie problématique théorique et conceptuelle. On parle, par exemple, de films « cultes » : comment cela a été décrété et par qui ? C’est quoi un film contemporain ? Tous les films du cinéma marocain ne sont-ils pas contemporains ? C’est quoi un film marocain classique ? Juanita de Tanger de Farida Benlyazid est répertorié « comédie » ce qui est pour le moins discutable…

Le catalogue est encore très restreint et éclectique. On y retrouve pour le moment peu de cinéastes. Nabil Ayouch à travers ses films (mais il n’y a pas Ali Zaoua ni Much loved, ni Une minute de soleil en moins ?)… Ou avec les productions de l’expérience de Film industry (ils sont pour le moment prépondérants) qu’il avait initiée il y a quelques années. Des films de Narjiss Nejjar, Bennani (Wechma), Ismaël Ferroukhi, Hicham Lasri. Un seul film de Mostafa Derkaoui (De quelques événements sans signification)…Les autres cinéastes qui manquent à l’appel hésitent ou attendent pour voir.

Une double interrogation va orienter leur choix : les montants de rétributions et sur quels critères et la fameuse question de la chronologie des médias ; à savoir la durée qui sépare la sortie d’un film et sa programmation sur la plateforme. Pour Canal plus : six mois ; pour Netflix : 15 mois même si de plus en plus de cinéastes choisissent de sortir leur film directement sur la plateforme (Martin Scorsese, Jane Campion…par exemple). Au Maroc, ce sera très compliqué à gérer car peu de films réussissent à convaincre/séduire les exploitants-distributeurs (en dehors des comédies). A suivre.

Peut-être qu’il faut rappeler à ce propos que le cinéma marocain a eu, à partir de 2013, à vivre une expérience d’officialisation de sa présence sur la toile avec la chaîne Cinémaghrébia lancée par un groupe français sur YouTube. La chaîne, en 2017, a réussi à convaincre 27 producteurs, ce qui lui a permis de mettre en ligne 182 vidéos dont 81 longs métrages. Les contrats stipulaient le versement de 60% des recettes nettes perçues aux producteurs. On ne peut parler d’un succès foudroyant avec 38 mille abonnés et 10 000 vues par jour. Mais cela amène des questions stratégiques qui demeurent d’actualité notamment celle-ci : combien de personnes ont véritablement regardé un film en entier ? L’analyse des données disponibles autour de cette chaîne de cinéma a montré que la durée moyenne de visionnage d’un film ne dépasse pas quelques minutes !


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