Un premier constat s’impose par rapport à la production au Moyen orient. Si dans les pays du Machreq on peut parler d’un versant audiovisuel/télévisuel du documentaire, au Maghreb il s’agit davantage d’un versant cinématographique
Dans notre région, les « printemps arabes » ont favorisé les vocations documentaires, beaucoup d’images ont été tournées. La célèbre place Tahrir du Caire en est une véritable icône.
Des documentaristes tentent de créer des associations, de structurer la profession. Au Liban, en Syrie, en Egypte, au Maroc…des festivals dédiés au documentaire ont vu le jour, on a assisté à un vrai bouillonnement y compris dans les pays du Golfe. Un documentaire irakien a fait sensation et peut passer pour l’emblème de ce regain d’intérêt, Homeland, Irak année zéro de Abbas Fadel (2015), film family-movie de plus de 5 heures sur les ravages de l’invasion américaine à une échelle humaine, celle des enfants notamment.
Mais, parler du documentaire dans la région MENA (moyen orient –Afrique du nord) passe inévitablement par la case Al-Jazeera documentaire. Depuis le lancement de la chaîne qatarie, le documentaire de la région a pris un tournant. Certains parlent de dynamique, les chiffres en effet sont là, mais quid de la création ? Michel Tabet, chercheur, spécialiste en anthropologie visuelle rappelle quelques données : « Fondée en novembre 1996 par le gouvernement du Qatar, Al-Jazeera a fait sensation dans un Moyen-Orient où la censure verrouillait jusqu’ici l’espace médiatique en permettant au spectateur arabe d’accéder à une information libre, pluraliste, faite par des Arabes et pour des Arabes».
Après avoir lancé, en 2005, un festival de films documentaires, elle s’est dotée, en 2007, d’une chaîne dédiée à ce genre, al-Jazeera documentary. Elle a investi depuis des millions de dollars dans la production et la diffusion de reportages et de films documentaires. Tabet développe l’hypothèse selon laquelle après avoir mis à mal « l’hégémonie médiatique des Etats-Unis dans la région, l’intrusion d’Aljazeera dans l’économie politique du cinéma documentaire représente la seconde phase de son assaut contre les industries médiatiques occidentales…
Mais son véritable coup de force vient du fait que la chaîne a décloisonné et popularisé un genre qui demeurait jusqu’ici tributaire des réseaux de financements européens et du contrôle de l’État. Les formes innovantes que proposaient les documentaristes arabes ne touchaient jamais leurs publics et celles que les autorités toléraient devaient se soumettre aux impératifs de la censure et de la propagande.»
Cependant, cette analyse qui fait la part belle à ce qui relève plutôt de « la géopolitique culturelle » ne peut éluder des questions fondamentales telle la question de la créativité et de l’impact du documentaire audio-visuel sur le projet documentaire dans la région.
Je veux dire dans sa dimension artistique et cinématographique. La problématique de l’apport d’Aljazeera documentaire, j’en suis conscient, s’il n’est pas à nier, appelle un travail spécifique à part, une réflexion profonde ; ce qui m’amène à poser des interrogations au préalable : d’abord que sont devenus les nombreux « cinéastes » qui se sont « précipités » pour répondre à l’appel d’offres de la chaîne qatarie ? Ont-ils trouvé leur voie/voix dans le devenir documentaire de leur pays ? Y a-t-il eu une nouvelle génération de cinéastes documentaristes?
Ensuite, que sont ces « films » devenus ? Ont-ils eu un destin après leur diffusion ? Quelle est leur position dans la mémoire des images, la mémoire cinéphile et la mémoire / l’histoire de ces pays ?
L’appel d’offres lancé par une télévision implique l’adhésion à un cahier des charges qui reflète la ligne éditoriale de la chaîne. Les films sont alors inscrits dans une standardisation des méthodes de travail et une hybridation thématique qui reste tributaire du panarabisme préconisée par les promoteurs de la chaîne.
Certes, la variété des thèmes abordés, y compris sur des sujets sociaux (les petites mains de la grande industrie…) ou des personnalistes historiques souvent ignorées ou refoulées (Abdelkrim Khattabi…) par les chaînes officielles, donnent l’image d’une forme de liberté d’expression mais l’angle d’attaque reste souvent marqué par la rechercher du sensationnel au détriment du traitement. Le débat reste ouvert.
Au Maghreb, la première décennie des années 2000 a vu l’émergence d’une véritable dynamique documentaire. Un premier constat s’impose par rapport à la production au Moyen orient. Si dans les pays du Machreq on peut parler d’un versant audiovisuel/télévisuel du documentaire, au Maghreb il s’agit davantage d’un versant cinématographique.
Une certaine tradition cinéphilique historique explique pour beaucoup cette différence illustrée notamment par le rôle des Journées cinématographiques de Carthage, nées avant le tout audiovisuel et avant la prise de pouvoir (économique) par la télévision. Une distinction majeure, de degré et de nature, entre les deux productions.
On assiste néanmoins à un rétrécissement de cet espace avec le formatage, de plus en plus, de la production documentaire maghrébine par le système de production émanant du Golfe.
(Extrait de mon livre en préparation ; Le documentaire : de l’écriture à la lecture)
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