« Le cinéma, pour paraphraser J.-L. Godard, c’est comme le foot, tout le monde peut en parler ».
Le cinéma nous ouvre des horizons qui sont fondamentalement et essentiellement des horizons de pensée. Un bon film, un film qui plaît, un film qui fait que notre vie ne sera plus la même après l’avoir vu…est déjà la promesse d’un bon texte. Ecrire sur le cinéma, c’est s’inscrire dans une logique de transfert et d’échange. Car écrire sur un film, c’est développer à partir de ces hypothèses une pensée qui dialogue avec une autre pensée ; développer des images autour d’autres images. Une rhétorique face à une autre.
Le discours critique a trop souffert d’absence de légitimité. Celle-ci n’est jamais acquise une fois pour toute ; la critique doit la forger à chaque exercice. Pour dire finalement que la légitimité de l’acte critique est une émanation de sa propre logique d’écriture. Comme texte disposant d’une autonomie ; dans son dialogue franc avec le texte source (le film). Bref, c’est une légitimité qui n’est pas le résultat d’un consensus ou d’une reconnaissance institutionnelle. Elle est immanente au discours qui la porte.
Dans le cas de figure marocain, la critique cinématographique demeure un projet. Elle a ses repères, sa figure initiatrice, mais elle a souffert des aléas qui ont été ceux du cinéma marocain lui-même, si ce n’est ceux du champ culturel. Longtemps, elle a souffert pour se constituer en sujet. Se construire un objet pour devenir sujet. Tel a été le programme. Une dialectique qui a fini par laisser des traces. Certains y ont perdu espoir et ont évacué le terrain ; d’autres y font des intrusions par intermittence comme des sorties récréatives. Désertion, poursuite d’autres chants de sirène. Très peu ont résisté. Occasion ici de rendre hommage à Nour Eddine Saïl, le maître fondateur. Celui qui a cru ; a continué de croire jusqu’au bout et a permis à plusieurs générations d’y croire : par le fait même qu’il ait été là ; qu’il ait continué à exercer, ici, ailleurs, sur tel front ou tel autre. Son abnégation, son amour pour le cinéma font œuvre didactique car elles font œuvre de transmission ; transmettre ce message : oui, dans ce pays il y a une place pour la cinéphilie ; une place pour la culture cinématographique. Cela, on ne l’oubliera jamais. Certes, le commerce autour des images peut paraître aujourd’hui évident alors que YouTube pollue l’horizon et banalise la pensée. C’est vite oublier qu’on revient de loin ; oublier ces terribles années de sécheresse, la traversée du désert où trouver un film de qualité relevait de l’exploit. Où parler de cinéma relevait d’une forme d’hérésie. Mais la résistance finit toujours par rencontrer l’espoir.
La contrainte ne fut pas seulement externe. Au sein même du champ du discours sur le cinéma, il a fallu, comme il faut toujours, sauvegarder le cinéma dans ce qui constitue son essence : le cinéma. Le cinéma, pour paraphraser J.-L. Godard, c’est comme le foot, tout le monde peut en parler.
Un combat qui rejoint toute une tradition de l’histoire du cinéma : la lutte contre les annexions extérieures, contre le théâtre, le roman. Au Maroc aussi, toute une production académique d’inspiration littéraire a inondé la pratique critique cinématographique. C’était le cinéma label de modernité. Un intérêt strictement discursif, loin de la pratique de base de tout critique qui se respecte, à savoir voir les films, échanger et discuter autour des films. Le tri s’est fait de lui-même. Et la critique retrouve ses lettres de noblesse dans le sillage de la dynamique générale qui traverse le champ du cinéma. Maintenant c’est à elle de faire ses preuves. De se constituer en discours.
Mes textes sont souvent marqués par le hasard des rencontres et la spontanéité des réactions. Ce sont des articles de réflexion, des notes, des observations, des réactions à chaud. Mais en filigrane il y a une ligne de conduite. En premier lieu ce que Jean Douchet a appelé l’art d’aimer. Il n’y a pas d’acte critique sans désir ; le désir de l’autre, du film. A l’origine de l’écriture, il y a le désir de posséder l’objet du désir, de le transformer en objet théorique. Aimer puis finir par théoriser son amour.
Certes, le choix de la visée critique portée par la fonction référentielle, informative, contraint à un usage modéré du métalangage théorique. Il n’empêche que celui-ci me paraît essentiel non par volonté d’opacité mais par ambition de couper court à un certain amateurisme qui banalise le discours critique. La théorie pour couper court au discours démagogique qui dit une chose et son contraire. La théorie pour se prémunir des stratégies de marketing qui formatent les écrits et manipulent les esprits. Quand je dis théorie, je me réfère prioritairement aux acquis de la sémiocritique. Sur la base de postulats sémiotiques pour qui l’activité signifiante des textes filmiques désigne le lieu réel où se jouent –sur la base de production de sens- les enjeux à la fois sociaux, esthétiques et idéologiques d’une œuvre.
La sémiocritique détermine un rapport particulier au film/texte, à l’opposé du mode de consommation « habituel » puisqu’elle implique la suspension du mouvement, l’arrêt sur image. Arrêter, revenir en arrière, repartir, passer d’un segment à l’autre : le film ne défile plus au rythme prévu par l’industrie cinématographique. Le critique –analyste se le réapproprie pour le constituer en nouvel objet.
Mais il y a aussi une critique de l’urgence, celle de la consommation hebdomadaire. Le film devient événement qui me force à répondre, à me positionner, à privilégier tel aspect ou tel autre du film pour en parler. Le tout sans prétention d’exhaustivité mais dans la permanence du désir. Oui, permanent, comme le souvenir de ces séances de projection permanentes des salles de l’enfance.
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