Hmadcha de Taoufiq Izeddiou : Le corps comme signifiant global

MOHAMMED BAKRIM

Je suis allé voir le nouveau spectacle de Taoufiq Izeddiou, Hmadcha, un peu par curiosité.

Curiosité accentuée par la charge symbolique de l’intitulé lui-même : il y a quelque chose en nous de cette pratique ancestrale qui hante notre imaginaire.

Mais aussi avec beaucoup de sympathie pour  la Troupe Anania que j’ai eu le plaisir de découvrir il y a plusieurs années à Marrakech en parallèle avec le festival du cinéma.

Je garde le souvenir d’un travail authentique, à partir des éléments phares de la culture populaire (les Cheikhates à l’époque) pour les inscrire dans une démarche artistique innovante.

Confirmation avec Hmadcha : la voie choisie trouve son apothéose avec ce spectacle total qui mobilise tous les sens à partir du corps comme signifiant global.

L’idéal c’est de découvrir ce travail avec un regard vierge ; ce fut mon cas.

J’arrive sans aucune idée sur le projet ; à part l’attrait du titre qui m’a capté d’emblée.

Aucun synopsis, aucun avis critique.

Je découvre comme un spectateur émancipé. Un décor minimaliste avec un écran blanc géant, un espace cerné par une clôture.

On comprend très vite que cet écran constitue l’horizon incontournable d’un déferlement de sensations.

Et pourtant cela commence d’une manière apaisée, comme sur le bord d’une plage avec une vague calme qui entre dans le champ.

Une vague signifiée, portée par un corps…On suit cette vague et on est pris.

Une fois pour toute ; plus d’une heure durant.

Ce n’est pas une œuvre illustrée par un corps-des corps.

C’est le corps qui est une œuvre ; dans une prestation d’abord physique qui frise l’exploit olympique.

Izeddiou organise une scénographie des corps, quasi-nus, dans une logique physique qui tend vers un climax, le point d’orgue, la transe.

Entre alors en scène la cerise sur le gâteau : un gala au rythme de Hmadcha qui franchit la frontière entre la scène et la salle.

Le récit est fluide ; l’enchainement se fait sans rupture temporelle mais par le recours à des indices comme l’arrivée de cet orateur qui nous fait passer de la voix of à la voix in ; enrichissant le répertoire sonore du spectacle par la poésie.

Le corps en extase devient le reflet des émotions ; il est libéré par ce retour du refoulé culturel qu’est la danse des Hmadcha.

Je me suis amusé par moment à décrypter certaines séquences : ici j’ai vu Les temps modernes de Charlie Chaplin avec le corps mécanique du capitalisme industriel.

Là, j’ai vu l’addiction aux réseaux sociaux avec l’omniprésence des écrans…Mais, l’essentiel est ailleurs dans l’émotion ressentie à travers l’évolution des scènes-tableaux.

Hmadcha, un spectacle kantien ? oui, puisque «  est beau ce qui plaît universellement sans concepts ».

Le public cosmopolite de la salle Brahim Radi à Agadir ce soir-là était cosmopolite.

Il applaudissant joyeusement à la fin du spectacle : il n’avait pas besoin de comprendre tout ce qu’a voulu dire l’artiste puisque le plaisir esthétique était au rendez-vous.

Il a vécu et partagé un moment d’émotion. L’émotion comme expression de la beauté.


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