Elisabeth, Amina, Adam..Figures dramatiques, figures d’espoir
Mohammed Bakrim
Trois grandes figures dramatiques, émanant d’univers culturels distincts, se sont imposées sur les écrans du jour et pour certaines auront des suites à la soirée de la consécration lors de la clôture du festival.
Elisabeth, l’héroïne tragique du film Foudre, Amina-sauvage du film éponyme et Adam du film La conspiration du Caire. Des protagonistes de fables qui disent bien, en langage du cinéma, notre temps.
Foudre, premier long métrage de Carmen Jaquier nous transpose dans une campagne suisse vers les années 1900. L’ouverture du récit se déroule dans un couvent. Un horizon de lecture est ainsi posé supposant un récepteur disposant d’un certain nombre de codes pour accéder à cet univers aux rituels fortement maitrisés.
Si le langage du cinéma est universel, ses codes sont fondamentalement culturels. C’est cette dimension qui fait à la fois la force et les limites de ce beau film en termes d’images. Il est porté aussi par une figure centrale, Elisabeth, très jeune femme issu d’un milieu paysan modeste. Nous la découvrons alors qu’elle s’apprête à faire ses vœux.
La mort de sa sœur l’oblige à retourner chez sa famille. Le récit s’ouvre ainsi sur une disparition ; un vide à combler. Elisabeth va être alors sous la double emprise d’un milieu rigoriste et de la malédiction héritée de mort de sa sœur. La découverte d’une lettre secrète de celle-ci met Elisabeth au centre d’un parcours de combattant.
Des hommes (le père, le frère…) enfermés dans des dogmes ; la rigueur religieuse vont obstruer l’horizon d’émancipation vers lequel aspirent ses corps juvéniles perdus dans ses vastes espaces magnifiés par la caméra de Jaquier.
Le corps est alors un enjeu majeur du drame. Enfermé par les lois sociales, il est réhabilité par les belles images d’inspiration picturales de la jeune cinéaste. La poésie qui émane de l’espace renvoie à l’innocence de ses corps victimes d’une violence ancestrale.
Ce faisant le film ne manque pas d’une certaine pertinence par rapport à une certaine vision véhiculée par les médias dominants : le film nous dit bien à sa manière, implicitement, que l’oppression faite aux femmes qu’un cliché attribue à l’islam, n’est pas l’apanage de celui-ci. Et qu’il s’agit bel et bien d’une donne anthropologique qui traverse les religions…
Autre figure féminine, autre univers avec Savage d’Ahmed Abullahi (Suède). Une mère célibataire, Amina, d’origine somalienne rêve de devenir une championne des arts martiaux mixtes. Le ring de ses rêves est pour le film une métaphore des mille autres combats que doit livrer une femme.
Aux soucis de la gestion quotidienne, s’ajoutent les aléas de la transposition culturelle : les rapports avec la famille, les mariages mixtes (son mari la quitte pour une suédoise de souche). Le récit est une chronique douce-amère de ce combat permanent avec un plan final qui ne dessine pas de perspective mais montre un regard féroce de détermination sous une lumière qui laisse planer des ombres.
Ombre et lumière, c’est le destin du jeune Adam dans le film La conspiration du Caire de Tarik Saleh. Issu d’une famille de pêcheur, doué et talentueux, il bénéficie d’une bourse qui lui permet de poursuivre ses études dans la prestigieuse université d’Al Azhar. Haut lieu de l’Islam sunnite.
Deux séquences en ouverture vont dessiner en filigrane le destin tumultueux qui sera le sien : une première séquence de pêche avec de larges plans sur un horizon dégagé et des eaux calmes et une ambiance sereine avec un père soucieux des détails de la vie.
Une deuxième séquence nous le montre arrivant au Caire ; un espace surchargé de bruits et un horizon fermé. Son installation est très vite marquée par le décès de l’Imam d’Al Azhar. La désignation de son successeur est un enjeu politico-religieux dont Adam fera les frais. Assassinat, manipulation, coups montés…Tarik Saleh cinéaste suédois d’origine égyptienne nous livre un thriller politique de bonne facture, très marqué par la cinéphilie hollywoodienne du réalisateur.
Primé à Cannes pour son scénario, cela donne une indication que le film est plus intéressant par le propos que par la forme. Il y a en effet une volonté délibérée d’envoyer un message politique sur la nature policière du régime (les portraits du président égyptien sont omniprésents dans les scènes majeures du film) au détriment d’une construction qui intègre la nature complexe des rapports entre le sacré et le profane dans un contexte musulman.
Le film donne en outre une image quasi caricaturale du fonctionnement d’Al Azhar ; très réductrice et éludant le fait que cette prestigieuse institution religieuse est également une force économique gérant d’immenses biens et de ce fait établissant des connexions d’intérêt avec le bloc au pouvoir.
Le nom complet du jeune héros est Adam Taha. On aurait ainsi pensé à un clin d’œil à la figure majeure de la littérature et de la pensée égyptiennes, Taha Hossein qui a si bien décrit Al Azhar notamment dans son récit autobiographique, Les jours. Il n’en est rien.
La dimension intellectuelle inhérente au lieu même du récit a été complètement délaissée, à de rares exceptions près, au bénéfice d’une approche sensationnelle amputant les personnages d’une consistance dramatique qui aurait donné au film un autre élan. A un certain moment je voulais penser à Umberto Eco et son roman culte, Le nom de la rose et au vu de certaines réactions du public dans la salle, apparemment je n’étais pas le seul à m’être trompé d’hypothèses.
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