- Mohammed Bakrim
Dans le domaine du cinéma, nul besoin de quota ou autre parité : en la matière, les femmes ont démontré que ce n’est pas le nombre qui fait la différence ; que la qualité du travail n’est pas tributaire de la quantité des femmes titulaires de la carte de réalisateur. Elles sont à peine 20% du nombre mais leurs films affichent une présence remarquée et leur assurent une grande renommée. Leila Kilani avec Sur la planche vient d’être plébiscitée, par un panel de critiques, cinéaste de la décennie 2010-2020; Tala Hadid avec Tigmi N igrane séduit ici et ailleurs…
Et aujourd’hui, l’actualité est focalisée sur le film Adam de Mariam Touzani, occupant pratiquement les devants de la scène depuis sa première cannoise (sélection officielle, Un certain regard). Il arrive aujourd’hui d sur les écrans du pays, auréolé de plusieurs récompenses (une vingtaine) glanées dans une multitude de festivals et manifestations cinématographiques. Maryam Touzani rejoint ainsi, sur ce plan, une autre femme cinéaste, Yasmin Kessari, qui détient, pour son film L’enfant endormi, le record de récompenses internationales pour un long métrage marocain…Adam a été candidat en outre aux Oscars et a bénéficié d’une projection spéciale à Marrakech. Un succès indéniable qui amène une première interrogation : un tel accueil à l’international est-il inhérent aux qualités intrinsèques du film ou est-ce le résultat d’une stratégie professionnelle de marketing ? L’interrogation est légitime quand on connaît les puissants moyens mobilisés par l’occident néo-libéral pour préserver sa mainmise sur les industries de l’imaginaire. Pour le cinéma, des tendances et des thématiques sont mises en exergue par les différents réseaux de financement et de promotion. On constate ainsi la mise en avant de tout un courant de cinéma « post-printemps arabe » privilégiant des thématiques récurrentes tels les enfants de la rue, la grossesse hors mariage ou les mères célibataires…Après la vague des films « engagés », « politiques », la balance penche pour le cinéma sociétal imprégné d’un regard néo-orientaliste. Celui-ci réside dans la prise en charge de thématiques « socio-exotiques », cette fois, par des artistes locaux (autochtones, indigènes) bénéficiant des appuis et de fenêtres à l’étranger.
Comment aborder le film de Mariam Touzani dans ce contexte ? En intitulant son film « Adam » (la première création), la cinéaste neutralise toute velléité d’explication qui cherche à donner à son film une « paternité » esthétique ou autre. Elle se revendique auteure à part entière d’une œuvre. Sur le plan du sujet, une jeune mère célibataire face aux contraintes environnementales, le film s’inscrit dans une certaine histoire. La jeune Selma de Touzani a des sœurs de détresse et de défi, telles Mina de La plage des enfants perdus de Jilali Ferhati (1991) ; ou Malak, la jeune lycéenne de Abdeslam Kelai (2016).
Cependant, le film est plutôt marqué par une filiation esthétique avec les autres films de Touzani. Adam prolonge une démarche artistique cohérente dont les premiers jalons apparaissent dans ses deux courts métrages, le très « kiarostamien », Quand ils dorment (2011) ou encore le séduisant Aya à la plage (2015). Des films qui ont permis de mettre en place des choix d’univers, de caractère, de personnage confortés avec Adam et qui autorisent à parler de « réalisme poétique » pour caractériser ce cinéma. Réalisme poétique au sens quasi pragmatique : Touzani puise ses thèmes, sujets, personnages dans un microcosme social (réalisme) ; réalité qu’elle réorganise à travers un regard subjectif, et des choix artistiques, couleurs, lumière, cadrage (poétique). Dans Adam, nous suivons ainsi, l’arrivée de Selma, jeune femme enceinte, qui cherche un abri dans la ville en attendant de prendre une décision finale sur son accouchement. Elle sera hebergée par Abla, jeune mère élevant seule sa fille Warda. Celle-ci sera le billet d’entrée de Selma dans cette famille. Elle va être adoptée ; la nouvelle ambiance, plus conviviale lui permettra d’accueillir l’arrivée d’Adam (le bébé) avec sérénité. Et le dernier plan nous montre la jeune mère décidée de se prendre en charge…sans que le film nous en dise plus. La laissant seule avec son destin. L’ensemble révèle un dispositif bien ficelé. En termes de dramaturgie, Adam relève du théâtre filmé (au sens opératoire du concept) porté par de vraies qualités techniques, à l’image et surtout au montage : lors d’une sortie en ville, trois plans montés à partir du regard de Selma, toujours filmée en plans rapprochés, sont d’une belle éloquence : elle regarde à droite et voit un groupe de jeunes filles qui vont à l’école ; et puis à gauche avec le visage d’une vieille femme, seule : d’une côté ce qu’elle n’a pas pu être et de l’autre ce qu’elle risque de devenir. Tout est dit, rien qu’avec le jeu de regard et des images. Le cinéma.
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