Ciné-club : Wang Bing, une leçon pour le documentaire..Porter la caméra dans la plaie

AZULPRESS - Mohammed Bakrim

Le retour du documentaire se confirme : ici et là des signes confirment et confortent cette tendance. En France, exemple que l’on cite comme référence cinéphilique, deux événements majeurs ont marqué le printemps du documentaire. A Cannes, l’un des moments forts fut l’hommage de la quinzaine des réalisateurs à Frederick Wiseman, documentariste prestigieux et grand cinéaste tout simplement. Il y a, en outre, un autre événement phare, la rétrospective organisée par la Cinémathèque française en hommage au cinéaste chinois Wang Bing, figure de proue du documentaire indépendant. Wang Bing est considéré, en effet, depuis plus de deux décennies comme l’un des plus grands cinéastes de notre temps. Ces films majoritairement inscrits dans le registre documentaire sont d’abord des œuvres majeures de cinéma, au-delà de toute catégorisation institutionnelle.

En 1999, dans le Nord-est de la Chine, un homme de 32 ans, fraîchement lauréat d’une école d’art, département photographie, s’empare de sa caméra vidéo amateur et filme seul durant deux ans, la disparition du plus grand complexe sidérurgique chinois. Cela donne un film de neuf heures, A l’ouest des rails. Il aura l’effet d’une bombe lors de sa présentation à Cannes. J’ai aussi le subvenir que les Cahiers du cinéma en avaient leur couverture. Un grand cinéaste est né. Le documentaire prend un nouveau souffle

« A l’ouest des rails, au-delà du constat social et anthropologique qu’il permettait, représentait  un défi formel et esthétique. Le film est « traversé par un enjeu conceptuel que l’on peut rétrospectivement inscrire dans la part la plus performative de l’art contemporain au tournant du XXe siècle » notait Dominique Païni, critique de cinéma et commissaire de la rétrospective consacrée par La cinémathèque française au cinéaste chinois. Il précise encore : « Naissait de l’ambition esthétique de cette première œuvre un regard inédit. Le cinéaste fixait simultanément les mouvements de l’Histoire et ceux, infimes, de la matière. Il donnait également à voir le chaos produit par les renversements politiques, sociaux, et civilisationnels de la Chine. L’immensité du territoire exigeait une figure dominante de filmage : le travelling interminable. Le parti pris de la durée conférait un statut expérimental à cette œuvre magistrale. À l’Ouest des rails relevait ainsi autant du film d’artiste  que du cinéma du réel ».

Vingt films après, en deux décennies, le phénomène Wang Bing continue à marquer le cinéma contemporain. Ses films s’attachent à capter le chaos généré par les profondes mutations de la Chine moderne. Il n’hésite pas à « porter la caméra dans la plaie » pour reprendre la célèbre formule d’Albert Londres. Deux dimensions constituent l’horizon de cette œuvre : anthropologique, commencée avec le monumental A l’ouest des rails (2003) ou encore avec le magnifique Les trois sœurs de Yunan (2011) et une dimension socio-historique comme avec Ta’ang (2015).

Comment filmer les anonymes, ceux que l’économie dominante ignore, rejette, écrase. Wang Bing braque sa caméra vers le hors champ du discours officiel mettant au centre de sa démarche les invisibles de la couverture médiatique : les nouveaux migrants, les prostituées, les drogués, les chômeurs, les paysans des régions éloignées…Le dispositif est original. Les films de Wang Bing échappent à tout sentiment de voyeurisme, à toute exploitation de la misère, une figure de mise en scène, en apparence improvisée, pourrait pourtant y contribuer : la filature, la surveillance sans relâche, l’insistance opiniâtre à suivre « dans le dos » ses personnages (Dominique Païni). Wang Bing ne les « lâche pas d’une semelle » pourrait-on dire pour qualifier cette manière de filmer en collant à leurs pas, à leurs errances, à leurs déambulations…Sa caméra est là : ni trop proche, ni trop loin ; attendre, ne pas partir, ne pas intervenir, ne pas savoir a priori (donc pas de scénario !). Son credo : un dispositif minimal, se soumettre à la volonté de ce qui arrive !


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