Ciné-club : Trois hypothèses autour de la critique cinématographique

AZULPRESS – Mohammed Bakrim //

 Quel rôle pour la critique cinématographique aujourd’hui face aux nouveaux enjeux du cinéma marocain ?. En fait, il s’agit d’un intitulé/programme. Programme d’une réflexion en cours. Il s’agit en effet de réfléchir sur le statut de la critique cinématographique au Maroc qui n’est pas du tout évident et presque simultanément tenter de cerner, d’un point de vue un tant soit peu théorique, les enjeux du cinéma marocain, né en partie des mutations qui le traversent, en filigrane, en douce puis en accéléré ces dernières années. C’est dire combien la tâche est ardue et incite à de l’humilité voire à de la modestie de la part de celui qui est tenté par l’aventure…loin des discours de complaisance et de circonstances.

Et cette tâche commence – déjà- avec les termes qui composent l’intitulé de cette intervention «critique cinématographie» et «cinéma marocain» et qui sont d’abord des «objets théoriques» qui appellent une actualisation permanente. «Objets théoriques » dans le sens qu’il doit traduire quelque aspect relativement autonome de la réalité de ce domaine (en l’occurrence le cinéma), ce qui renvoie à des hypothèses théoriques. D’autre part, il doit pouvoir être soumis à une étude qui obéisse à des critères de scientificité. Cette pertinence peut donc être remise en question à la suite d’un progrès, soit dans les hypothèses théoriques, soit dans les moyens d’étude scientifique. C’est le cas de l’objet « cinéma marocain » longtemps confiné dans une abstraction théorique, un modèle à joindre, puisqu’il n’y avait pas de film marocain pendant des décennies entières. Il continue d’ailleurs à pâtir de l’absence d’un marché national spécifique. De même pour  la critique cinématographique. En l’absence d’une industrie de cinéma, d’un marché et d’un commerce autour du cinéma, la critique au sens professionnel n’existe pas. La fonction critique n’a pas créé son organe puisque la critique n’avait pas d’objet (absence de films marocains).

C’est ma première hypothèse : la critique cinématographique marocaine a précédé le cinéma marocain. Grosso modo, on peut dater la naissance de la critique cinématographique marocaine, au-delà de sa préhistoire lancée par des cinéphiles français dans les grandes villes, avec deux événements majeurs : la sortie de la première revue de cinéma éditée par un Marocain avec Cinéma3 en janvier 1970 dirigée par Noureddine Saïl et la création de la fédération nationale des ciné-clubs en mars 1973. Deux constations majeures sont à tirer de ces deux dates : le rôle fondateur et précurseur de Noureddine Saïl; et la critique cinématographique marocaine est née dans un contexte d’absence totale de production nationale. Le sommaire du premier numéro de « Cinéma » est une indication majeure : il y a un dossier sur le cinéma cubain ; un entretien avec Jean Rouch; le fonctionnement du sens dans le cinéma moderne ; évolution de recherches cinématographiques; filmographie palestinienne…Une seule information sur un tournage marocain, celui du film «Les enfants du haouz » de (feu) Driss Karim. Je rappelle que le seul long métrage produit en 1970, date de publication de Cinéma 3 est «Wechma» de Hamid Bennani qui fera une sortie timide dans les salles. Hamid Bennani apparaîtra au sommaire suivant de la revue avec des extraits de son travail universitaire sur «cinéma et psychanalyse ».

 La critique cinématographique est née en outre dans le sillage des ciné-clubs. D’’où ma deuxième hypothèse : elle est née d’abord orale et à dimension culturelle, cinéphile et non professionnelle. Le gros des troupes qui produisent un discours sur le cinéma sont issus des ciné-clubs. Rares sont ceux qui sont passés derrière la caméra (contrairement à la Tunisie), beaucoup ont choisi d’écrire sur le cinéma aidé en cela par leur parcours universitaire.

Cela ouvre sur ma troisième hypothèse ;  c’est une critique qui s’exerce à l’égard du cinéma plus qu’à l’égard des films. Durant une bonne partie de son histoire, la critique cinématographique se réduisait à ressasser un cahier de doléances autour de certains mots d’ordre nourris de l’esprit de l’époque : pour un cinéma national ; pour un cinéma nouveau. Pour un cinéma engagé…faute de grains à moudre, le critique aiguisait ses outils théoriques souvent importés de champs extra-cinématographiques. Cela ne manquera pas d’avoir des répercussions sur le rapport aux films une fois que ceux-ci envahiront les écrans du pays.


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