Ciné-club :  Sacro Gra de Gianfranco Rosi.. Filmer ceux de la périphérie

AZULPRESS – Mohammed Bakrim //

Alors que le documentaire semble avoir le vent en poupe et bénéficier d’une certaine audience au sein du large public, il est utile de revenir sur certains films/auteurs qui ont fait leur preuve en abordant le genre et méritent ainsi d’être présentés comme des jalons, comme des repères sur la voie des jeunes cinéastes qui se lancent dans la quête de la captation du réel ; encouragés en cela par l’outil numérique qui donne l’illusion d’une certaine facilité…Or, il n’en est rien. L’histoire du documentaire est l’histoire de la richesse, de la variété et de la complexité de filmer le réel.

Gianfranco Rosi a toute sa place dans ce répertoire de références. Il est, pour faire vite, celui, entre autres, qui a porté le documentaire, fait rare pour le souligner, aux plus hautes consécrations dans deux prestigieux festivals. Sacro Gra, son film de 2013, a ainsi obtenu Le Lion d’or à Venise ; et en 2016, son film Fuocoamarre, par-delà Lampedusa, a obtenu l’Ours d’or à Berlin.

« Je fais tout par moi-même. Je ne veux pas d’un assistant à mes côtés quand je filme. Une fois que tout est en place, je tiens à être seul. Alors la caméra devint comme un microscope pour moi. Je découvre un monde nouveau ». citation qui confirme bien que nous sommes en présence d’un auteur. Un auteur qui assume. Dans son Sacro Gra il nous dans un voyage autour de la grande métropole italienne, Rome à travers un angle original, celui du Gra.

C’est-à-dire la grande rocade, le périphérique qui contourne Rome sur près de 60 kms. C’est un film sur l’urbanité des temps modernes sans passer par le centre ville. On n’entre pas à Rome mais on est en plein dedans à travers ses lumières, ses files de véhicules, ses bruits et ses échos qui nous parviennent avec les micro-récits que développe le film. Oui, mine de rien, Sacro Gra, film sur une route est néanmoins plein de personnages authentiques.

Des personnages que Rosi capte avec empathie les suivant, sans intrusion brutale, dans un moment précis de leur quotidien. Sans préalable, sans mise en scène. Les gens qu’il va filmer sont le résultat d’une immersion d’une longue durée. Faire accepter sa présence est la conséquence d’une présence qui ne cherche jamais à s’imposer. L’une des scènes magnifiques est celle où il filme  de l’extérieur, de la fenêtre, un vieil homme qui discute avec sa fille travaillant sur son ordinateur.

L’appartement est tellement exigu que le cinéaste a choisi de se mettre physiquement dehors et des les filmer en plongée ; la séquence ne verse pas cependant dans le voyeurisme car Gianfranco Rosi est le cinéaste de la juste distance. Filmer des gens, c’est raconter une partie de leur histoire mais en racontant leur histoire, le cinéaste se révèle lui-même et quelque part un documentaire est toujours un autoportrait.

Et avec Sacro Gra, on découvre un regard qui porte un point de vue. Il rejoint le maître du genre, Fréderic Wiseman dans l’absence de tout didactisme ; absence de voix, off, de commentaire, de musique off…seuls les mouvements de la caméra, le montage développent un discours  visuel et sonore alternant les plans larges (qui contextualisent le récit dans l’espace romain) avec des scènes d’intérieur qui prennent leur temps, qui est celui des gens comme cette belle scène des prostituées qui se préparent dans leur camping-car dans une aire de stationnement.

Les scènes ne se perdent pas car on finit par les retrouver quand le cinéaste les reprend comme des rimes. Aucun rythme n’est imposé, on suit la scène (quand la jeune danseuse fait une pause pour téléphoner à son copain) et puis on découvre une autre sans hiatus. Une patience du reagrd, attentif, comme le personnage récurrent de l’entomologiste qui capte le bruit des insectes au sein des arbres : quand il y a le silence, c’est un bon signe. Une séquence qui se laisse lire comme une métaphore du travail du cinéaste lui-même : un capteur de signes !