Ciné-club :Qu’importe si les bêtes meurent de Sofia Alaoui ..Rencontre du troisième type en Tamazgha
AZULPRESS – Mohammed Bakrim //
« Sofia Alaoui a pertinemment placé son rapport au fantastique dans le mode suggérer au lieu de montrer »
Primé (Grand prix du jury) à Sundance (USA), festival fondé par Robert Redford, considéré par les cinéphiles comme La Mecque du film indépendant et du cinéma d’auteur, le court métrage de Sofia Alaoui, Qu’importe si les bêtes meurent, continue sur cette lancée avec le César 2021 du meilleur court métrage. Ayant bénéficié de l’avance sur recettes du CCM, le film est une co-production franco-marocaine. Tourné dans les hauteurs de Grand Atlas, il ouvre la langue amazighe (dialogues du film, décors, paysages… et le tifinagh présent sur l’affiche du film) sur une dimension internationale ; une parfaite illustration d’une « mondialisation heureuse » et de l’universalité.
Celle-ci, l’universalité, traverse le film dans sa thématique et dans son écriture cinématographique. Le film s’inscrit en effet dans le sillage d’un genre fortement codé, le fantastique. Des êtres venus d’un ailleurs (le ciel ?) viennent perturber un ordre. Un ordre ancestral transmis de père en fils à l’image des protagonistes du film. Abdellah, jeune berger qui se trouve en transhumance avec son père. Les gestes et les paroles indiquent une tradition établie et que le père cherche à transmettre en annonçant à son fils que désormais c’est à lui d’assurer la continuité en l’exhortant à se marier ; en lui promettant de lui trouver « une femme au marché du mariage ».
Abdellah donne l’impression d’acquiescer ; en fait, il est déjà branché sur son portable où il fait défiler une galerie de motos. Une rupture se dessine en filigrane entre l’ici et l’ailleurs. Son corps est là parmi ses bêtes mais l’esprit est ailleurs. Cet ailleurs se présente d’abord sous la forme du village. Il est invité par son père à s’y rendre pour chercher de l’alimentation pour leur bétail. Son regard hors champ nous offre un ciel énigmatique. Plus tard, il découvre un village vide ; seul un personnage atypique, une sorte de fou du village lui indique que des « êtres inconnus » sont venus du ciel et les gens ont fui. Cela offre au film sa structure : filmer des personnages ordinaires face à une situation extraordinaire.
Cette apparition va fonctionner comme révélateur : plusieurs registres de réaction nous sont offerts. A commencer bien sûr par celle d’Abdellah, apeuré, inquiet pour son père et ses bêtes. En champ/contre-champ on découvre une réaction quasi officielle médiatisée par un écran de télévision où le discours d’un prédicateur exhorte les gens à rejoindre les mosquées face à ce qu’il présente comme une malédiction divine. Le fou du village, en fait la voix de sagesse, rassure Abdellah et lui dit que « ces êtres ne veulent que nous informer de leur présence ».
Le film à ce niveau ne cherche pas à reproduire ce que Hollywood a déjà balisé. On ne voit rien. Sofia Alaoui a pertinemment placé son rapport au fantastique dans le mode suggérer au lieu de montrer. En distillant des éléments iconiques (la lumière du ciel) et sonores (la musique), elle crée une ambiance générant une émotion d’abord esthétique (c’est beau). Elle ne cède pas au désir voyeuriste y compris et surtout quand le fou du village montre à Abdellah la vidéo sur son téléphone pour le convaincre de l’arrivée des « êtres du ciel ».
L’enjeu esthétique du film étant non pas de filmer les « Aliens », mais de capter et de sonder les réactions des uns et des autres. Avec une question fondamentale, le rapport à l’autre surtout quand cet autre nous est absolument étranger. Le film va dans le sens d’une rencontre positive. D’autant plus que le film est porté par une écriture cinématographique ancrée dans la cinéphilie. On pense à la référence absolue, Rencontre du troisième type de Steven Spielberg (USA, 1977) ; film justement qui a réhabilité l’image de l’extraterrestre.
L’arrivée d’Abdellah au village est filmée en outre comme un western : un homme seul avec sa monture qui arrive dans un lieu devenu étranger.
Il y a une séquence qui pourrait se lire comme un manifeste féministe, celle où Abdellah rencontre Itto (sa sœur ?) dans une sorte de dépôt de marchandises (on voit des pneus et du matériel). Itto est la femme qui a dit non à la doxa ; elle refuse de suivre les injonctions d’Abdellah. Elle ne cède pas à la peur collective ; elle considère même que l’arrivée de ces « êtres » est une bénédiction. Les plans qui suivent son échange avec le jeune berger désorienté par son refus sont éloquents : une scène hommage à la femme marocaine d’aujourd’hui. Deux plans autorisent cette lecture : un bref plan où l’on voit le portrait du Royal et puis Itto qui s’en va avec son triporteur ; moyen de transport de marchandises, devenu emblème de l’action sociale du nouveau régime. A nouveau régime, nouveau cinéma !
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