Ciné-club-Cinéphilie : passion et aimance

AZULPRESS – Mohammed Bakrim //

Khatibi à qui j’emprunte le concept de l’aimance pour exprimer la nature des rapports que nous avions avec les films. Une cinéphilie fondée sur l’aimance n’est pas exclusive. Portée par l’altérité, ouverte sur tous les genres !

…Et j’ajouterai partage. La cinéphilie trouve dans le partage sa dimension naturelle. Le modèle éternel, pour moi, est illustré par la séquence suivante : les années 1940, un après-midi de mai, la banlieue parisienne, une 3 CV avance dans la cour des immenses usines Renault ; sur la banquette arrière cinq lourdes bobines de film. Des militants du syndicat Cgt avancent et aident le conducteur à sortir les bobines. Tout le monde se dirige vers la salle de projection. La séance va commencer. Le film c’est Le jour se lève de Marcel Carné. L’homme qui vient partager sa passion avec la classe ouvrière, c’est André Bazin. Le père de la cinéphilie moderne, le pape de la critique cinématographique. Magnifique image qui dit une part de notre utopie !

Le cinéma a besoin que l’on parle de lui. Aller au cinéma, voir des films, cela ne se comprend pas sans ce désir d’en prolonger l’expérience par la parole, la conversation, l’écriture…

A un niveau modeste, le nôtre, ceux des cinéphiles qui sont issus des ciné-clubs, nous avons pratiqué le partage de cette passion d’une manière inédite, au départ dans un Maroc où la liberté de réunion et d’expression était limitée voire bâillonnée. A cela s’ajoutait les contraintes matérielles et logistiques : l’argent, les moyens de communication non seulement faisaient défaut mais était tout simplement inexistants.  Chaque samedi au soir, nous vivions dans l’angoisse de la réception des bobines pour la projection du lendemain.  Nous faisions le siège de la compagnie des transports et nous guettions tout ce qui pouvait ressembler aux fameux colis de la fédération des ciné-clubs. Sa réception n’était pas d’ailleurs la fin de notre calvaire. Combien de fois nous avions programmé un film français ou italien et nous nous retrouvions avec un film hongrois sous-titré en allemand…et sans fiche de présentation. Mais on ne renonçait pas. L’engagement était sincère et l’engouement était nourri par une véritable passion.

Les films étaient rares mais les échanges et les discussions animées étaient une véritable école de formation. L’écoute attentive était une sorte de contrat moral qui régissait les rapports au sein de cette communauté. Les maîtres étaient respectés : Nour-Eddine Saïl, Abdellah Laroui, Mohamed Guessous, Aziz Blal, Abdelkbir Khatibi…Khatibi à qui j’emprunte le concept de l’aimance pour exprimer la nature des rapports que nous avions avec les films. Une cinéphilie fondée sur l’aimance n’est pas exclusive. Portée par l’altérité, ouverte sur tous les genres ! Le cinéphile attentif à la pépite rare n’occultait pas le spectateur du samedi soir qui sommeille en lui et qui est fan de la série B, du film hindi ! Le film d’auteur pointu et la comédie populaire sont un large éventail qui donne la richesse du cinéma et multiplie le plaisir du cinéphile.

Aujourd’hui, la cinéphilie n’est plus ce qu’elle était. A la rareté a succédé l’abondance. L’offre est là, à domicile ou à portée de main. Les chaînes thématiques, les plateformes du streaming, les VOD, et autres liens d’échange. J’allume ma télé je tombe sur Ten de Abbas Kiarostmai ; je rejoins une plateforme, elle me propose entre mile choix le court métrage qui vient d’être oscarisé !!!! Inimaginable pour les gens de ma génération pour qui voir Citizen Kane relevait de l’exploit qui n’arrive qu’une fois dans la vie !

Mais c’est une cinéphile « sauvage », boulimique ; née en dehors et en marge des salles de cinéma. Une cinéphilie qui ne descend de personne ; sans transmission ni rite de passage. Il n’y a plus de maître…une génération sans père, sauf peut-être Google !

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