Ciné-club : Apprendre à voir

AZULPRESS – Mohammed Bakrim //

“L’image ne se donne pas seulement à voir. Elle est lisible autant que visible”

 La problématique de la réception du discours médiatique n’est plus aujourd’hui un luxe théorique ou un exercice académique destiné à une élite universitaire ou professionnelle. Elle est, bien au contraire, au centre du dispositif démocratique ; elle est un des fondements de la citoyenneté moderne. Si l’accès à la lecture et à l’écriture pour tous a constitué une revendication dont la satisfaction a permis de faire progresser la participation citoyenne aux affaires de la cité par le biais du jeu de la démocratie représentative, il est indéniable aujourd’hui qu’une éducation aux médias est la réponse adéquate à la nouvelle configuration du pouvoir, au sens large, marquée par les systèmes de médiation du discours. La démocratie n’est plus un enjeu politique, elle est de plus en plus un enjeu médiatique avec l’omniprésence des réseaux sociaux  et le développement de nouvelles formes de communication et d’information. Comment assurer une égalité des citoyens devant la complexification des formes de circulation du discours social ? Comment leur assurer les moyens de se prémunir contre les formes déguisées et apparentes de manipulation ? Comment les aider à organiser la réception du flux de mots, d’images, de signes qu’ils reçoivent à domicile pour forger leur identité de citoyen ?

Nous formulons, face à cette problématique d’envergure, le postulat didactique : il faut imaginer, comme une exigence citoyenne incontournable, une stratégie globale d’éducation aux médias ; mettre en place et à différents niveaux des parcours d’initiation à l’analyse du discours et du fonctionnement médiatique. L’homme est un éternel apprenant. Pour ses principales activités de base, nous retrouvons à l’origine un processus d’apprentissage : marcher, parler, se nourrir même… Tout est venu suivant un parcours initiatique. Regarder aussi peut être l’occasion d’un apprentissage. Surtout aujourd’hui où l’intelligence du monde passe par des variantes multiples de médiation, notamment iconique. Au XVIIIème siècle, pour signifier que l’on a compris son interlocuteur, on disait “j’entends”, aujourd’hui on dit “je vois”. Il s’agit alors d’apprendre à voir, au moment où nous vivons une civilisation dite justement audiovisuelle. Une grande part de la communication sociale est diffusée par des supports qui relient le texte et l’image ; que dis-je, même le texte est devenu une image puisque je le “traite” sur l’écran de mon ordinateur.

Nous sommes donc convaincus de la nécessité de former les citoyens, de les initier à cette nouvelle langue, ce langage universel.

C’est une formation qui ne se réduit pas bien sûr à une production du schéma canonique de l’enseignement traditionnel. C’est une initiation qui doit refléter la nature même de son objet : vivante pour ne pas dire séduisante, efficace et surtout éclatée sur plusieurs lieux. L’accès aux discours des médias relève de l’éducation au sens que lui donne Platon, c’est-à-dire un processus ininterrompu qui accompagne la vie et ne se limite pas à un espace réservé. Nous pouvons cependant imaginer outre l’effort individuel, fondamental ici comme ailleurs car la liberté comme la citoyenneté sont d’abord des choix qui se négocient au niveau de la personne, un dispositif d’éducation aux médias à trois niveaux :

  • l’école
  • les médias eux-mêmes
  • l’espace civil, associatif.

L’école est le lieu où l’éducation aux images et aux médias exprime un choix institutionnel. Il s’agit par exemple.d’ instaurant des plages horaires spécifiques à la réception des médias dotées d’un curriculum propre, étalé sur les années de scolarisation avec une priorité pour le collège et le lycée. On peut également encourager au sein de l’enseignement des langues un recours aux documents d’origine médiatique. Nos élèves continuent à apprendre, aussi bien pour l’arabe que pour le français, des langues ad hoc, hors de tout environnement culturel, des langues “mortes” en somme ; une langue vivante aujourd’hui est la langue des médias (les fameux textos qui sont devenus un alphabet spécifique).

Les médias aussi ont un rôle à jouer dans ce vaste processus ; certes, il est rare de voir les médias parler des médias, sauf sur un registre narcissique. Mais on pourrait imaginer des émissions qui contribuent, malgré les limites de l’exercice, à une information sur le fonctionnement des médias et en particulier ceux nés de la révolution numérique ; les pages médias de la presse écrite, l’édition, des sites web…autant de supports de diffusion d’une culture d’analyse.

Les citoyens eux-mêmes, enfin, ont un rôle, si ce n’est pas une responsabilité, à jouer dans le même sens en animant des espaces de réflexion critique sur le discours médiatique. Une action qui peut déboucher sur des formes d’intervention citoyenne sur le fonctionnement des médias, des associations de la société civile qui deviendraient ainsi une sorte de HACA  Meta-institutionnelle !


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