Ben Toumert ou les derniers jours des voilés de Mouna Hachim : Une fiction d’hier pour le réel d’aujourd’hui
Mohammed Bakrim
« L’histoire est un art avant d’être une science ; elle est un récit plus qu’un essai analytique» Abdellah Laroui
Notre histoire est un gisement riche de ses multiples couches généalogiques. La recherche académique y trouve un matériau qui interpelle ses méthodes et les visions qui les orientent. Cette richesse inspire également et de plus en plus la fiction. La littérature principalement, le cinéma plus timidement. Et pourtant, l’histoire du cinéma nous apprend que les grandes cinématographies émanent de nations qui ont quelque chose à raconter. Et notre histoire offre une galerie de personnages qui pourraient enrichir nos écrans par leur singularité, leur apport dans l’édification de la nation et leur destin souvent tragique.
Le nouveau roman de Mouna Hachim, Ben Toumert ou les derniers jours des voilés nous plonge dans un moment fort de notre histoire, celui de la transition entre deux moments, la fin du règnes des Almoravides (Les voilés) et l’arrivée tumultueuse des Almohades. Une transition sous la houlette d’une figure énigmatique, Ben Toumert, édifiante par son parcours, entouré de légendes qui en font un mythe. Le récit est centré autour d’une séquence qui va de 1120 à 1147).
Le récit est d’abord un texte porté par un style dense et par une écriture qui mobilise les sens ; elle est visuelle, sonore et olfactive (on voit, on entend et on sent grâce à une description minutieuse). On peut parler d’une esthétique impressionniste pour restituer les décors et les ambiances. Elle embrasse les paysages en plans larges et en plans serrés dans un montage dynamique alternant les points de vue, entre celui des protagonistes et celui d’un narrateur omniscient qui n’hésite pas à faire irruption pour expliquer, préciser, un point d’histoire, de géographie ou de culture (culinaire, artistique…). On intègre l’histoire d’un trait, suivant les péripéties, retenant son souffle face à l’ampleur des enjeux. Le cadre choisi, l’espace-temps des événements est riche de promesses dramaturgiques. C’est un moment crucial de l’histoire, gramscien dans son essence. Le théoricien italien avait en effet écrit que « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
Ce clair-obscur, c’est le passage de la dynastie des Almoravides à celle des Almohades ; deux dynasties amazighes qui vont marquer d’une touche indélébile l’identité de la nation marocaine. Le coût humain est à la mesure de l’histoire qui s’écrit. Le roman saisit ce moment à travers l’ampleur de la violence qui va marquer ce passage de témoin. Mais la violence n’est-elle pas l’accoucheuse l’histoire ? Ici, elle émane d’un travail d’endoctrinement à partir des principes religieux. Et d’une lecture spécifique du corpus liturgique. L’ouverture du roman se fait sous le signe d’une figure qui va incarner cette lecture particulière du texte religieux. Ben Toumert, dit Almahdi. Une scène de violence à l’égard de jeunes filles qui porteront le récit. L’enjeu étant le corps de la femme ; un clin d’œil à l’actualité du jour et les polémiques autour du voile, quand Mouna Hachim écrit sous la plume de son narrateur « Et voilà que ce bout de tissu imprimait les motifs d’autant de tensions ! Signe visible de prestige pour les hommes, il devait se transformer pour les femmes en moyens d’effacement ». Les enjeux et les protagonistes sont ainsi et d’emblée mis en scène.
Dans ce tumulte, des figures féminines vont s’imposer comme foyer narratif : Soura, Mimouna et Fannou. Elles sont au cœur du récit et leur destin lui donnera ses trois articulations. Elles occuperont notre imaginaire pour l’irriguer de fraîcheur, d’amour, d’abnégation, de courage et surtout d’ardeur de vivre.
Le récit oscille entre la fable, la légende et les faits historiques. Il est khaldunien dans sa structure profonde dans la mesure où il démontre le rôle de l’idéologie, en l’occurrence le référent religieux, pour cimenter la solidarité de la tribu montante qui une fois au pouvoir va connaître une forme de déliquescence qui précipitera sa chute. La violence inouïe que décrit le roman n’est pas l’apanage des seuls Almohades. Dans un moment de lucidité extrême l’une des protagonistes rappellent que les Almoravides avait fait autant sinon plus en décimant ceux qui les avaient précédés dans le pouvoir (les Zenata).
Mehdi Ben Toumert qui donne son titre au roman disparaît très tôt avec sa mort ; mais il est présent dans le hors champ comme l’instigateur de cette révolte qui deviendra une guerre civile terrible ; son projet ayant été prolongé par l’un des fidèles et maître en stratégie Abdelmoumen. Mahdi y apparaît comme un personnage énigmatique. Mouna Hachim refuse de l’enfermer dans le cliché facile qui en fait un ancêtre idéologique de Daech ou d’Al Qaida. Dans une interview elle rappelle que Ben Toumert est « auteur de plusieurs traités en langue arabe et amazighe. D’une grande polyvalence et éloquence, il était expert dans les sciences de la dialectique et dans l’art de la controverse…Par ailleurs, c’était un ascète, connu pour se vêtir d’habits humbles et pour vivre de privations…en plus, il n’a jamais brigué de pouvoir politique, il a toujours été un chef spirituel et a légué de son vivant le pouvoir temporel à Abdelmoumen ».
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