Agadir: Plus qu’une ville, un concept

  Par Mohammed Bakrim//

Oui, en effet, cette ville est plus qu’un point sur une carte ; il ne s’agit pas d’un  centre urbain de plus ; ou une agglomération ; voire une capitale de province et de région.  Oui, Agadir c’est plus qu’une ville, c’est un signe plein. Un signifiant chargé de multiples signifiés ; un faisceau de symboles. Oui, Agadir est un concept. Au sens où il renvoie au-delà de l’urbain, à l’urbanité qui est tout un mode de vie ; une manière du vivre ensemble et que je pourrai résumer par ce mot magnifique « l’hospitalité ».

 Agadir est alors la quintessence de la marocanité : un socle amazigh ouvert sur des apports multiples. Un brassage culturel forgé par une historicité dynamique. C’est dans cette perspective qu’il faut lire   la proposition royale de considérer Agadir comme le centre du Maroc. Au-delà d’une lecture topographique réductrice,  le sens et la pertinence de la proposition du Souverain est de nature historique, et je dirai civilisationnelle. Agadir étant l’emblème de notre nouvelle utopie ; le titre générique du projet sociétal en devenir. Un retour d’Agadir au devant de l’actualité nationale est un retour aux sources de la marocanité. C’est d’autant plus éloquent que cela coïncide avec la commémoration du soixantième anniversaire du séisme de 1960 qui avait détruit la ville et endeuillé l’ensemble de la nation. Une nation qui avait fait de la reconstruction  et de la renaissance de la ville un projet collectif mobilisateur. Et le résultat fut à la hauteur des efforts engagés. Et Agadir jouissait alors d’une place de choix dans le cœur et la tête des Marocains…

Sauf que les temps des désillusions et du désenchantement sont arrivés. Et aujourd’hui, au moment où le pays engage une réflexion collective sur l’urgence d’un nouveau modèle de développement, Agadir offre une illustration de l’impasse à laquelle a abouti « le modèle actuel dominant » ou plutôt la conséquence de l’absence d’un véritable modèle, intégré, cohérent, humaniste et écologique. La ville a en effet  mal à son développement. La ville phare de Souss vit une crise aux dimensions multiples.   A l’image du pays en somme. Car Agadir offre aussi cette caractéristique d’être une sorte de laboratoire politique ayant vécu et vivant des expériences de gestion qui en disent long sur les mœurs politiques en vigueur et la faillite des élites qui ont succédé à celle issues du mouvement national.  Celles-ci versant dans la politique politicienne, sans vision et sans cap. Agadir est passée ainsi d’une phase d’embryon de modernité menée sous la houlette d’un courant nationalo-progressiste porté par la vague rose qui avait déferlé sur le Souss en 1976 ; pour vivre ensuite une phase de postmodernité menée par un courant conservateur  d’inspiration religieuse supranationale. Cette pseudo-alternance a eu des conséquences désastreuses sur son identité même, sur son rayonnement avec notamment un schéma urbain quasi chaotique. On comprend alors qu’en haut lieu, on refuse de venir entériner les faux semblants et les couches de cosmétiques improvisées.

Pourtant plusieurs facteurs d’ordre naturel et culturel participent à la constitution de l’image de marque de la ville et qui font  qu’Agadir jouit d’un statut qui en fait une ville importante dans le schéma politique global du pays. Trois éléments au moins font, en effet, qu’Agadir occupe une position spécifique dans le dispositif stratégique de la région ; il s’agit de l’agriculture, du tourisme et de la pêche.  Trois axes avec des enjeux fondamentaux pour l’avenir du pays, et qui confirment sa centralité.

Agadir est l’avant-pays de cette formidable plaine du Souss, riche de multiples variétés agricoles, restée longtemps en friche et qui a connu en quelques années un boom et un essor formidables. C’est le lieu qui a vu émerger un nouveau capitalisme local, féroce,  imposant des conditions de production infernales puisant dans l’arsenal inhumain de l’héritage féodal (Souss a une longue histoire de Caïds célèbres). Créant aussi un appel d’air pour une migration interne, notamment des régions pauvres voisines. Une multitude de centres sub-urbains ont ainsi vu le jour en l’espace de quelques années. Un mouvement migratoire massif  qui a bousculé non seulement la configuration démographique de la région mais aussi sa sociologie politique, engendrant des pratiques et des mœurs inédites.

Or, toute réflexion sur le projet de développement pour la région gagnerait à s’inspirer d’un modèle offert par la nature, à savoir l’arganier. Un arbre emblématique qui correspond à une symbiose entre les besoins vitaux et la nécessité de sauvegarder l’écosystème. Un arbre sobre, économe d’une grande endurance face aux aléas de la vie. Tout un programme d’économie politique. L’arganier une métaphore éloquente pour notre temps.


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