Mohammed Bakrim
« La grande maladie du Maroc, c’est la greffe des modèles et l’absence d’innovations » Paul Pascon L’année 2020 sera-t-elle, enfin, celle du grand débat national sur un projet de développement cohérent, pertinent, opportun, en congruence avec l’esprit du temps ? L’installation de la commission spéciale sur le modèle de développement offre cette perspective. Le début de ses travaux avec notamment les audiences accordées aux différents acteurs politiques, sociaux, culturels…pour présenter leurs propositions va également dans ce sens. A signaler aussi la mise en place de tout un dispositif participatif ouvert à l’ensemble des citoyens.
Un acte inaugural qui permet d’entrer dans le vif du sujet et de rompre le silence solennel inhérent à toute phase d’installation. Nous aimerions alors souligner d’emblée un préalable qui concerne la forme des audiences. Les séances de présentation des propositions ont été prises en charge par une mise en scène minimaliste, simple, sobre, réduite au minimum, à l’image certainement du style des hommes comme Benmoussa et Jettou…Or, c’est un protocole qui aurait pu bénéficier d’une certaine historicité. Ces audiences sont, en effet, un moment historique fondateur qui en rappelle un autre qui avait marqué les débuts du nouveau règne, les audiences publiques initiées par l’Instance équité et réconciliation.
Le parallèle historique est légitime, il s’impose. Là, il s’agissait de réconcilier les citoyens avec leur passé douloureux ; reconstituer la mémoire collective sur la base d’un récit national homogène ; ici, il s’agit de se doter d’une vision d’avenir ; de dessiner un cap ; de donner à cette mémoire un futur, un imaginaire collectif. Du coup, nous aurions aimé voir la réception des propositions des uns et des autres bénéficier d’audiences réellement publiques, comme un grand oral devant non seulement la commission mais devant l’ensemble de l’opinion publique…avec une mobilisation des médias publics autour de l’événement. Sur le fond, maintenant, quelques réflexions sous formes de synopsis rapides. Un modèle de développement ne se réduit pas à un catalogue de mesures ; il ne se réduit pas à un programme de gouvernement. Il est principalement un référentiel de valeurs.
Peut-on alors imaginer un « modèle de développement » transversal qui traverse les classes sociales et faire fi des antagonismes propres à toute société de classes ? Ou ignorer que la société est traversée de courants communautaires (confessionnels ?) qui préconisent et pratiquent déjà un contre-modèle de société ? En outre, face à l’ampleur de la crise, devenue pratiquement sociétale voire civilisationnelle, il y a débat sur la nature même du développement souhaité. Aujourd’hui toute réflexion sérieuse sur « le modèle de développement » suppose une rupture épistémologique avec les principes qui ont conduit à l’impasse du modèle actuel. En d’autres termes, rompre avec des approches économistes (taux de croissance ; PIB…) pour une vision humaniste et écologique. Un exemple alarmant : peut-on réfléchir sur le modèle de développement sans prendre en compte la terrible sécheresse qui sévit dans le pays ? La question de l’eau qui préoccupe avec raison la plus haute autorité du pays doit guider notre perception du développement. Ce qui suppose la révision douloureuse mais vitale du modèle qui préside, par exemple, à notre agriculture et à notre tourisme. Va-t-on continuer, alors que nous sommes un pays désertique, à exporter de « l’eau » en Europe (tomates, oranges…) ? La même logique de pensée doit animer la réflexion sur le modèle touristique, industriel (le tout automobile…) Un nouveau modèle de développement ne peut s’inscrire que dans une logique de rupture radicale, culturelle et sociale avec le modèle consumériste et marchand dominant. Et qui suppose un programme politique de lutte pour la justice sociale et pour l’amélioration de la qualité de la vie.
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